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Pourquoi le prix des aliments pourrait rester élevé ?

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Une hausse du prix des aliments plus importante que l’inflation

Selon le rapport annuel sur les prix alimentaires au Canada paru le 7 décembre dernier, la croissance des prix dans les épiceries devrait varier de 2,5 à 4,5% pour 2024, alors que le taux d’inflation alimentaire idéal se situe entre 1,5 et 2,5 %. En 2024, le Canada devrait encore être confronté à une hausse généralisée des aliments. Toutes les provinces canadiennes devraient être affectées. [1]

Partout dans le monde, les prix des aliments augmentent plus vite que l’inflation. Ainsi, selon la Banque mondiale, les prix des denrées alimentaires croissent plus vite dans 80 % des pays du monde et cette hausse est encore plus marquée dans les pays pauvres. [2]

Au Canada, ils se sont accrus de 16,2 % d’octobre 2021 à octobre 2023, alors que l’indice des prix à la consommation (IPC) a augmenté de 10,2 % pendant la même période. Pour ce qui est du Québec, ces taux ont suivi la même tendance et se sont établis respectivement à 17,5 % pour l’alimentation contre 10,8 % pour l’IPC. [3]

On peut ainsi s’interroger sur l’efficacité de la politique monétaire quant à la réduction du taux d’inflation alimentaire. Rappelons que la politique actuelle vise à hausser les taux d’intérêt dans le but de freiner la demande globale et conséquemment l’augmentation des prix. Bien que la progression des prix de l’ensemble des biens et services ait ralenti depuis quelques mois, les prix des aliments continuent d’afficher de la résistance au resserrement monétaire, suggérant ainsi que les causes ne sont pas entièrement reliées à la surchauffe de l’économie, mais qu’elles peuvent être de nature structurelle.

Les explications

Statistique Canada explique que ces hausses des prix de l’alimentation sont les suivantes [4]:

  1. Le marché de l’alimentation est un marché mondial et sa filière a subi des perturbations à diverses étapes de la chaîne d’approvisionnement pendant la pandémie, comme la transformation, l’emballage et le transport. Ceci a eu pour effet de restreindre l’offre et de provoquer des augmentations de prix. Cette tendance a été exacerbée par le contexte d’une augmentation de la demande au sortir de la pandémie.
  2. De plus, se sont ajoutées au même moment des mauvaises conditions météorologiques dans les régions de production du monde qui ont eu un impact sur le maintien de l’approvisionnement des aliments. Par exemple, en 2021, des vagues de chaleur et des conditions de sécheresse extrême ont affecté la production agricole américaine. Ces vagues de chaleur étaient accompagnées des pluies extrêmes, d’inondations et de gel inattendu dans les États du Sud.
  3. Par ailleurs, les prix mondiaux des intrants agricoles ont augmenté de façon importante, notamment en raison du contexte géopolitique lié à la guerre en Ukraine qui a engendré une flambée des prix des hydrocarbures sur les marchés internationaux. Or, le gaz naturel est la principale matière première utilisée pour la fabrication des engrais azotés. L’Union des industries de la fertilisation (UNIFA) [5]estime que le gaz naturel représente aujourd’hui plus de 50 % du prix de vente d’un engrais azoté.

Un protectionnisme qui pourrait continuer à alimenter l’inflation alimentaire

Les raisons évoquées ci-haut suggèrent que nous pourrons contrôler l’inflation alimentaire en 2024 si ces problèmes se résorbent. Mais, la situation pourrait aussi être tout autre.

L’instabilité politique et économique, la flambée des prix alimentaires et la menace de troubles politiques dans le monde ont entraîné une augmentation du nombre de pays exportateurs interdisant les ventes à l’étranger ou mettant en place des restrictions. [6]

Cette montée du protectionnisme s’explique par des tentatives de contenir la croissance des prix intérieurs de crainte qu’elle engendre des problèmes sur les marchés domestiques. Ainsi, le contexte géopolitique actuel aurait conduit 34 pays à se tourner vers le protectionnisme alimentaire selon le groupe de réflexion américain International Food Policy Research Institute (IFPRI). [7] [8]On impose des quotas, des barrières et des prix plancher à l’exportation de nourriture. De plus, par un effet domino, d’autres pays réagissent en imposant leurs propres restrictions, alimentant ainsi un cycle de mesures commerciales qui ont un effet multiplicateur et provoqué une flambée des prix.

Ce sont les plus gros pays producteurs qui imposent des restrictions

Par ailleurs, ce sont les plus gros exportateurs du monde qui restreignent leurs exportations. L’Ukraine, touchée directement, est l’un des premiers fournisseurs de produits agricoles au monde, notamment de maïs, d’orge et de graines de tournesol utilisées pour fabriquer de l’huile de cuisson. [9]La Russie, deuxième exportateur mondial de blé avec une part de 17,5 % en volume, a annoncé en mars l’interdiction temporaire des exportations de blé et d’autres céréales. Ces limitations ont entraîné une hausse de 9 % du prix du blé. [10]

L’Inde, le plus grand exportateur de riz au monde, avec 40 % du marché mondial, a annoncé qu’elle interdisait avec effet immédiat l’exportation de riz afin de protéger ses stocks domestiques dans le contexte de l’augmentation des prix. Cette interdiction a un impact considérable sur les marchés internationaux et sur les prix, qui ont augmenté d’environ 20 % depuis son introduction.

Comment cette situation pourrait nous affecter

Notons qu’un taux d’inflation par sa nature intrinsèque ne mesure que la croissance des prix, mais non pas leur niveau géneral. Ils resteront élevés, même si leur croissance est ramenée à un niveau idéal, soit de 1,5 % à 2,5 %. En fait, on peut affirmer que le dommage a déjà été fait.  

Par ailleurs, les produits et l’énergie exportés des grands exportateurs sont aussi à la fois utilisés comme produits de base et comme intrants dans la composition de plusieurs produits transformés, ce qui affecte ainsi toute la chaîne alimentaire mondiale. Renégocier une réouverture de leur production sur les marchés internationaux pourrait être un long processus, du moins tant que durera l’instabilité provoquée par les guerres en Ukraine et au Moyen Orient.

Ce contexte géopolitique a aussi un impact important au Canada où 80 % du marché de l’alimentation est contrôlé par cinq entreprises : Loblaws (29 % de parts de marché), Sobeys / Safeway (21 %), Costco (11 %), Métro (10,8 %) et Walmart (7,5 %). [11]

En termes économique, on parlera d’un oligopole, dont l’une des principales caractéristiques est leur capacité de transférer aux consommateurs les augmentations des prix des intrants, en raison du manque de concurrence. La bonne nouvelle, c’est que les oligopoles sont aussi des structures de marchés instables et sujets à des guerres de prix. [12]

Mais, cela reste incertain, et cela ne pourrait être que temporaire, puisque les grandes marques comme Loblaw et Métro sont aussi propriétaires de plusieurs grandes chaînes à rabais, dont Maxi et super-C.

L’impact principal se fera sentir au niveau mondial, où les pays les plus pauvres notamment certains pays d’Afrique et d’Asie écoperont le plus, et où la nourriture représente la moitié du budget d’une famille type.

La crise alimentaire de 2008, par exemple, a entraîné une augmentation considérable de la malnutrition, en particulier chez les enfants. Et, selon certaines études, les taux d’abandon scolaire ont alors grimpé jusqu’à 50 % chez les enfants des ménages les plus pauvres. [13]

Louis Bellemare


[1] 14ième édition du rapport sur les prix alimentaires au Canada, 2024, Dalhousie University, University of British Columbia, University of Guelph, University of Saskatchwan

[2] Les prix des denrées alimentaires progressent toujours plus vite que l’inflation dans le monde

[3] Indice des prix à la consommation mensuel, non désaisonnalisé

[4] Derrière les chiffres : ce qui cause la hausse des prix des aliments

[5] . L’Union des industries de la fertilisation (UNIFA)

[6] Banque mondiale, Nous vivons une des pires crises alimentaires de la décennie et les restrictions au commerce international l’aggravent

[7] Hausse des restrictions à l’exportation – quels sont les risques et les débouchés?

[8]  Importations alimentaires : les pays les plus affectés par la crise

[9] Ukraine, profil commercial

[10] Russie : Production, importations et exportations

[11] RAPPORT SUR LES PRIX ALIMENTAIRES AU CANADA 2024 (dal.ca)

[12] Inflation alimentaire : vers une guerre de prix?

[13] Nous vivons la pire crise alimentaire de la décennie et les restrictions au commerce international l’aggravent

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Published inÉconomie canadienneÉconomie mondialeÉconomie québécoiseGénéralPolitique canadienne

5 Comments

  1. Jean-Claude Cloutier Jean-Claude Cloutier

    Encore une fois, un billet très instructif s’appuyant sur une bonne recherche documentaire. Un modèle du genre.

  2. Michel-Marie Bellemare Michel-Marie Bellemare

    Analyse intéressante et documentée.
    J’aurais aimé que tu franchisses un pas de plus en précisant que si les données sur l’impact de la hausse des prix de l’alimentation en 2008, sur le décrochage scolaire s’appliquent surtout dans les pays les plus pauvres, on peut craindre que les hausses récentes, conjuguées aux effets de plus de deux ans de pandémie, risquent d’affecter ici aussi le taux de décrochage scolaire, et que le gouvernement du Québec devrait y apporter une attention plus vigilante et prendre tout de suite des mesures d’atténuation.
    Réflexe de « policy maker », aurait dit Gilles Demers

  3. Sylvain Mélançon Sylvain Mélançon

    Excellent tour d’horizon de l’inflation des aliments. À mon avis, la politique restrictive de la Banque du Canada (hausses rapides des taux d’intérêt) a peu d’effet sur les prix des aliments, car il faut bien manger. On aurait pu penser que l’arrivée assez récente de Walmart comme « épicier », incluant les produits frais, aurait augmenté la concurrence. Ça ne semble pas être le cas, car les marges de profit moyennes dans cette industrie ont augmenté. Même au-delà de la guerre en Ukraine, nous étions déjà dans un contexte de crise alimentaire mondiale, qui n’est pas près de s’estomper. C’est au niveau mondial que ça se passe finalement en grande partie, et un bon endroit où commencer à agir est de réduire l’élevage et le pourcentage des surfaces arables consacrées à la culture de fourrages pour ces animaux d’élevage, qui sont à environ 70 %.

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