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Peut-on réinventer l’école ?

Note : Cet article est un résumé du mémoire que j’ai transmis à la commission parlementaire de la culture et l’éducation du gouvernement du Québec.

Le ministre de l’Éducation du gouvernement du Québec, monsieur Bernard Drainville, a présenté à l’Assemblée nationale, le 4 mai dernier, le projet de loi no 23 apportant des modifications à la Loi sur l’instruction publique (LIP)

À la lecture du projet de loi déposé, il m’est apparu important d’exprimer des préoccupations concernant trois points; soit, la gouvernance, le principe de subsidiarité et la reconnaissance les spécificités régionales.

1-Une gouvernance centralisée et le risque d’une ingérence partisane

Depuis l’élection de la CAQ en 2018, on constate une tendance générale vers une plus grande centralisation des pouvoirs dans le secteur de l’éducation.

Le projet de loi 23 pour sa part, s’il est adopté, viendrait donner encore plus de pouvoir au ministre qui pourra nommer le directeur général de chaque CSS ainsi que les directeurs des établissements d’enseignement. Le ministre, selon les dispositions de la LIP deviendra en réalité la voix des organisations scolaires. Le ministre pourra aussi annuler une décision d’un CSS et imposer celle qui, à son avis, aurait dû être prise en premier lieu lorsque la décision n’est pas conforme aux cibles, aux objectifs, aux orientations et aux directives qu’il a établies.

Les conséquences de ces modifications

Il apparaît important de mettre en garde le gouvernement et la population sur les conséquences que peut avoir une telle centralisation excessive sur les risques d’une ingérence partisane, notamment en ce qui a trait aux nominations et aux subventions.

Plusieurs études réalisées par des chercheurs universitaires ont montré qu’il existe effectivement une corrélation statistiquement positive entre le fait d’être du côté du gouvernement et la répartition des investissements publics dans les comtés. Il s’agit d’une situation que l’on retrouve dans presque tous les pays démocratiques et qui peut s’expliquer par le lien de proximité entre le ministre et une nomination partisane.

La simple idée que l’avenir de nos jeunes soit assujetti à des impératifs de politique partisane et électoraux demeure particulièrement préoccupante. Un tel comportement discriminatoire aurait pour effet de compromettre leurs chances d’avoir un accès équitable aux services éducatifs en raison de leur appartenance géographique. Malheureusement, l’histoire du Québec n’est pas exempte de cas où l’on a pu montrer de telles ingérences politiques dans d’autres secteurs.

2-Un principe de subsidiarité mal compris

En général, la subsidiarité est mal comprise dans l’ensemble du réseau d’éducation au Québec, puisque plusieurs l’interprètent comme étant une nécessité de décentraliser le pouvoir décisionnel à tout prix vers les CSS et les directions des établissements scolaires. Ce malentendu a eu pour effet d’engendrer un lot de critiques à l’égard du gouvernement alors qu’il était parfois tout à fait légitimé d’agir dans certains cas (ex. directives émises pendant la pandémie).

Le principe de subsidiarité positionne le pouvoir de décision le plus près possible de l’action. L’attribution des responsabilités est confiée au niveau le mieux à même de l’exercer. Ainsi donc, il ne revient pas aux CSS ou aux établissements scolaires d’élaborer des politiques publiques, ni de les contester ou de s’y opposer. Il y aura toujours une obligation de leur part de respecter les orientations politiques d’un gouvernement élu.

Finalement, à l’inverse, il n’est pas non plus le rôle du gouvernement de s’immiscer dans la micro-gestion d’une organisation et même de détourner les décisions de leurs conseils d’administration qui sont légalement constitués. Le ministre ne peut ainsi avoir des connaissances parfaitement objectives de la situation dans chacune des organisations.

La loi sur l’Instruction publique telle qu’elle était rédigée avant l’adoption du projet de loi 40 en 2019 cédait une place importante au principe de subsidiarité. Elle prévoyait la subsidiarité des ressources à la fois humaines, financières et matérielles mises à la disposition des écoles. On ne retrouve malheureusement plus ces dispositions dans la loi actuelle.

Conséquences d’une mauvaise application du principe de subsidiarité

Or, l’IPL telle qu’elle est rédigée actuellement prévoit que la constitution des Conseils d’administration est soutenue par une représentation locale afin de mieux faire valoir la participation citoyenne dans les prises de décisions des établissements scolaires et des CSS. Si le projet de loi 23 était adopté, l’influence de cette représentation citoyenne disparaîtra.

Nous pouvons aussi nous demander en quoi le ministre serait plus à même s’assumer la responsabilité de nommer les directeurs généraux ou les directeurs d’écoles plutôt que les Conseils d’administration. En quoi le ministre aurait-il plus de compétences pour reconnaître les qualifications requises pour occuper ces postes que les membres des Conseils d’administration eux-mêmes.

Cette distorsion dans le processus de nomination n’est pas sans conséquence. En plus de compromettre les objectifs d’optimisation de gestion tel qu’indiqués plus haut, elle pourrait engendrer beaucoup d’instabilité pendant les mandats et lors des changements de gouvernements, et ce au détriment des élèves.

3- Reconnaître les spécificités régionales

La centralisation s’accommode bien des politiques gouvernementales de type mur à mur. Des indicateurs de gestion permettent de comparer la performance des organisations entre elles et même de mesurer leur productivité. Ces comparatifs permettent théoriquement d’apporter des corrections dans le but d’accroître la performance des organisations.

Toutefois, les organisations scolaires sont des institutions parfaitement intégrées et adaptées à leur milieu. Elles ont su, au cours du temps, développer une offre de formation représentative et intégrée correspondant à leur environnement respectif, tant du point de vue démographique que du point de vue social et économique. Les milieux des CSS sont si différents les uns aux autres qu’une gestion centralisée dont le fondement est basé sur des comparatifs peut être incompatible avec les objectifs poursuivis, les besoins locaux et la nécessité d’adaptation des organisations scolaires à leur milieu

Apporter un jugement sur la performance d’une organisation sur cette seule base serait une approche biaisée. On comprendra facilement que la réalisé terrain du Centre de service scolaire de Montréal est bien différente de celle des Îles de la Madeleine.

Louis Bellemare

Published inÉconomie québécoisefrançaisGénéralPolitique québécoise

5 Comments

  1. Jean-Claude Cloutier Jean-Claude Cloutier

    Bonnes remarques sur ce projet de loi. Il est difficile pour le citoyen ordinaire d’évaluer les conséquences des modifications proposées. Ma première impression est que le ministre procède à une prise de contrôle semblable à celle du ministre Barrette dans le secteur de la santé il y a quelques années. Cette réforme a été très critiquée par la suite. J’ai bien peur que le ministre Drainville va s’étouffer avec cette bouchée un peu trop grosse.

    À la décharge de ces deux ministres, il faut reconnaître que des arguments plaident pour la centralisation, soit principalement la principe de services de qualité égale à tous les Québécois peu importe où ils habitent.

    Dans le domaine de l’éducation, il faut bien reconnaître aussi que la participation citoyenne est très limitée. La plupart voient leur rôle comme consistant uniquement à critiquer les insuffisances de l’école et du système.

    Bref, la recherche de l’équilibre entre centralisation et décentralisation risque de se heurter encore longtemps à des oppositions et à l’alternance des mouvements dans iun sens puis dans l’autre.

  2. Merci Jean-Claude,

    C’est vrai ce que tu dis, mais lorsque le ministre indique dans son projet de loi qu’il est responsable de la réussite scolaire des élèves, je crois qu’il y va un peu fort.

    Selon le principe de subsidiarité, ce sont les écoles, les équipes écoles et les enseignants qui sont responsables de la réussite scolaire et non le ministre. Le ministre devrait être en appui aux écoles. Son rôle, c’est de donner aux écoles les moyens de la réussite et d’offrir un financement et le support qui est nécessaire. S’il ne le fait, il ne peut pas mettre la faute sur les autres.

    Louis

  3. Richard Royer Richard Royer

    J’ai apprécié ton résumé de ton mémoire et je suis d’accord avec toi lorsque tu mentionnes que le rôle du ministre de l’Éducation n’est pas de faire de la micro-gestion dans les CSS.

    Je vois plutôt son rôle comme celui d’un architecte ou d’un guide qui donne une vision et des directions stratégiques au domaine de l’Éducation qui, avec celui de l’Enseignement supérieur, accaparent environ 6 % du PIB du Québec. Ce qui est énorme.

    Le Ministère échoue misérablement dans cette tâche. Voici trois exemples :
    – Selon une étude des plans stratégiques effectuée par le Secrétariat du Conseil du Trésor, celui du Ministère est une des pires du Gouvernement (avant-dernier) et n’identifie pas adéquatement ses priorités stratégiques;
    – Depuis 2014, le Ministère ne publie plus «Les Indicateurs de l’Éducation» qui fournissait une perspective globale et annuelle de l’Éducation au Québec. Si une personne ou des chercheurs veulent en avoir une, ils doivent se référer aux «Indicateurs de l’Éducation : une perspective canadienne», une publication annuelle de Statistique Canada;
    – Le Québec participe à plusieurs enquêtes internationales et pancanadiennes sur les résultats des élèves. De plus, il paie des sommes importantes pour avoir un échantillon significatif propre au Québec. La plus connue de ces enquêtes est celle du PISA de l’OCDE sur les résultats des élèves de 15 ans en littératie, sciences et mathématiques. Depuis le début de cette enquête en l’an 2000, les jeunes garçons québécois ont des résultats extraordinaires où ils rivalisent avec les meilleurs pays au monde, soit la Finlande et certaines villes chinoises comme Pékin et Hong-Kong. J’ai déjà demandé à la sous-ministre en titre pourquoi le Ministère ou le Gouvernement ne soulignait pas l’excellence des résultats des jeunes garçons québécois qui par ailleurs sont souvent dénigrés. Elle m’a répondu qu’elle ne pouvait pas car elle n’était pas sûre que les prochains résultats allaient être aussi positifs. À noter que nous sommes rendus à la 7e enquête PISA et que les Québécois ont toujours bien performés.

  4. Noël Pellerin Noël Pellerin

    L’un de mes profs d’économie qualifiait parfois certains sujets d’infiniment peu importants. Je placerais ces questions de la centralisation ou décentralisation et de la prise en compte des couleurs régionales dans cette catégorie. Si le but est vraiment de réinventer l’école, il y a des questions infiniment plus importantes à se poser, avec l’arrivée du tsunami de l’intelligence artificielle.

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