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Naufrage d’un projet de tramway à Québec, analyse d’une tempête annoncée

PARTIE 1 Le projet

Son annonce

«Avec ce projet, le Québec la ville de Québec entrera dans la modernité», avait déclaré l’ancien  maire Labeaume lors d’une conférence de presse tenue le 16 mars 2018 avec le premier ministre du Québec d’alors, Philippe Couillard. 1 2

Le maire présentait un projet de tramway long de 23 kilomètres et d’ouest en est, annexé à une ligne de trambus de 17 kilomètres et de nouvelles voies réservées pour les banlieues. Le projet prévoyait quatre pôles d’échange, 5000 cases supplémentaires de stationnements incitatifs et deux liens mécaniques reliant la haute et la basse-ville. 

Au coût de 3,3 milliards $, il devait être entièrement financé par les gouvernements provincial et fédéral. La ville s’était toutefois engagée à mettre sur la table 300 M $ dans des aménagements urbains.

On estimait alors qu’il faudrait trois ans pour achever les plans, devis et appels d’offres et qu’à moins d’imprévus, la mise en service pourrait s’effectuer en 2025-2026.

L’engagement des gouvernements

Afin de donner suite au projet, le gouvernement Legault adopta trois décrets en avril 2021. Ces décrets faisaient foi de la volonté du gouvernement Legault de réaliser le projet. 3

  • Le premier permettait à la Ville de Québec de recevoir une subvention d’un montant maximal de 1,2 G $ du gouvernement fédéral. Cette subvention était accordée dans le cadre du programme d’infrastructure Investir dans le Canada;
  • Le second décret octroyait une subvention de 200 M$ par le gouvernement à la Ville de Québec dans le but de poursuivre ses travaux de planification. Le gouvernement du Québec s’était engagé pour 1,8 G $.
  • Finalement, un troisième décret visait à autoriser la Ville à attribuer des contrats dans le cadre de la construction du réseau.

Par la suite, les coûts du projet ont évolué et la Ville de Québec a annoncé l’abandon de la portion ‘trambus’ pour limiter l’augmentation des budgets. 4 5

En janvier 2022, la Ville de Québec publie un document dans lequel elle explique que le coût est plutôt estimé à 4 G$ en raison de la volatilité du marché immobilier qui impacte la valeur des acquisitions nécessaires, l’inflation et un montant de 100 M$ lié au processus d’approvisionnement.  Après plusieurs péripéties, les paliers de gouvernements supérieurs s’engagent à assumer ce surcoût de 600 M$. 

Le 6 avril 2022 le gouvernement du Québec donne son appui définitif au projet en adoptant le décret 655-2022, moyennant certaines conditions imposées par le ministère de l’environnent, mais sans toutefois imposer de condition sur son acceptabilité sociale, et malgré des sondages plutôt défavorables de la population, et sans imposer de condition sur les coûts du projet. 6

Les appels d’offre

Suite au décret d’avril 2022, la Ville enclenche les travaux préparatoires qui impliquent de nombreuses expropriations. Elle lance un premier appel d’offre de propositions aux consortiums qualifiés pour la construction du matériel roulant du tramway et par la suite un deuxième appel d’offre pour le volet infrastructure du tramway. 7

Alstom remporte le contrat pour la fourniture de 34 tramways Citadis pour le projet du tramway de Québec au prix de 1,34 G$. Le contrat prévoit la conception et la fourniture du matériel roulant ainsi que son entretien pour une durée de 30 ans, ainsi qu’une option d’acquisition d’au maximum cinq rames supplémentaires, incluant la maintenance de celles-ci. 8

Par ailleurs, deux candidatures répondirent à l’appel de qualification pour la construction des infrastructures qui incluait des activités de conception, de construction, de financement et d’entretien (CCFE), soit Mobilité de la Capitale et ModerniCité. 9Mais aucun ne déposèrent de soumissions au terme du processus d’appel d’offre qui fût prolongé jusqu’en novembre 2023. 10

La Ville Québec dévoilait alors des coûts révisés du projet, soit entre 10 G$ et 12 G$ s’il elle octroyait la réalisation des infrastructures à contrat ou 8G$ si elle réalisait elle-même les travaux d’infrastructures.

PARTIE 2 : La tempête

Les premiers vents de la tempête se firent sentir dès 2021, après la pandémie et une conjoncture défavorable. Les ruptures de la chaîne approvisionnement, la rareté des matériaux et la rareté de la main-d’oeuvre dans l’ensemble du secteur de la construction ont eu pour effet de faire croître les coûts de tous les projets de construction à travers le monde. 11

Puisque la plupart des entrepreneurs fonctionnent avec des marges de profit modestes, l’augmentation des coûts se reflète dans le processus de soumission et par les niveaux de risques beaucoup plus élevés par les entrepreneurs, d’autant plus que les coûts peuvent grimper considérablement pendant l’exécution même des travaux. On estimait déjà, au début de 2022, à plus de 25% l’augmentation des coûts estimés des projets de construction en général. Le projet de Québec n’était donc pas épargné.

Par la suite, depuis mars 2022, plusieurs hausses successives des taux d’intérêt annoncées par les banques centrales ont eu un impact considérable sur les frais de financement dans le long terme pour des projets d’infrastructures.  12 13Rappelons que les appels d’offre pour les infrastructures du tramway demandaient aux soumissionnaires d’assumer eux-mêmes le financement du projet. Or, un calcul simple permet de constater la sensibilité de ces hausses sur les coûts. À titre indicatif, une augmentation de 2 % du taux d’intérêt viendrait établir la valeur finale (VF) à près de 11 G$ d’un projet initialement évalué à 4 G$ et financé sur 50 ans, soit une hausse de 175 %. Cette évaluation correspond aux évaluations présentées par les gestionnaires de la Ville.

En bref, la croissance des coûts du projet s’explique par une conjoncture exceptionnellement défavorable. Or, en faisant face à cette conjoncture, certaines erreurs ont toutefois été commises.

Première erreur : la précipitation

La première erreur fût peut-être de craindre l’épuisement des sommes disponibles pour le financement du projet dans les programmes fédéraux. Mais, elle fût aussi de croire à l’adage selon lequel plus on retarde la réalisation d’un projet, plus il coûte cher. Cette croyance a encouragé la précipitation. Certes, des ajustements à l’inflation seront toujours nécessaires, mais rien n’indique que la croissance des coûts réels (coût d’un projet moins l’inflation) d’un projet demeure nécessairement plus élevée au passage tu temps. Dans le cas contraire, les coûts de tous les projets deviendraient astronomiques et aucun ne serait réalisable.

C’est cette fausse croyance, à mon avis, qui a suscité l’empressement des gestionnaires du projet à accélérer ses étapes de réalisation, dont le déclenchement des appels d’offre dans une période de conjoncture extrêmement défavorable, où on demandait aux soumissionnaires d’assumer un risque financier très élevé. 14La Ville de Québec qui n’était pas le principal pourvoyeur de fonds aurait pu craindre la remise en question du projet en raison de la croissance des coûts, mais aussi des disponibilités financières de ses partenaires, dont celles des fonds fédéraux.

On aurait, par ailleurs, dû prévoir que les perturbations au niveau de la chaîne d’approvisionnement et les hausses de taux d’intérêt ne seraient que temporaires. Une planification sur une période plus longue aurait permis de laisser passer la tempête tout en réévaluant les risques à la baisse et en déterminant les coûts du projet avec beaucoup plus de certitudes.

Deuxième erreur : l’abandon d’une portion importante du projet

Dans le but de diminuer les coûts, le projet fût amputé de près sa moitié, soit 17 kilomètres des lignes de trambus et de nouvelles voies réservées pour les banlieues. C’est comme si on assujettissait la nature du projet aux aléas de la conjoncture. Selon cette logique, chaque fois qu’une conjoncture est défavorable, il faudrait imposer des coupures à tous projets, sans tenir compte des besoins de la population.

Or, la portion abandonnée était celle qui était la plus importante pour accroître l’efficacité du transport collectif dans la région de Québec. Il s’agissait aussi de la portion la moins coûteuse par utilisateur mais qui aurait apporté le plus d’impact en unifiant Québec à ses banlieues, soit par la construction d’un véritable réseau intégré.

Certes, le maintien des lignes de trambus aurait contribué à l’augmentation des coûts du projet. Mais, en l’éliminant, en réduisant sa portée aux seuls citoyens vivant à sa proximité du tronçon principal, l’adhésion des citoyens est devenue beaucoup moindre d’où le faible niveau d’acceptabilité sociale. Le projet est devenu beaucoup moins pertinent et son coût est devenu injustifiable.

Troisième erreur : l’absence d’une vision intégrée

Nous sommes entrés au cœur de la tempête lorsqu’il y a eu une récupération politique du projet par le gouvernement du Québec. Faisant suite à l’annonce de l’abandon du troisième lien entre Québec et Lévis et des résultats électoraux décevants dans le comté de Jean-Talon, le gouvernement du Québec a donc décidé de revoir l’’ensemble de l’œuvre.

Cette décision politique fût motivée par la surprise provoquée par le dévoilement des nouveaux estimés des coûts, mais aussi par la volonté d’une meilleure adhésion de la population au projet. Cette décision est aussi la résultante d’une troisième erreur qui est à mon avis en lien avec l’absence d’une vision intégrée du transport pour la région métropolitaine de Québec.

Cette vision est nécessaire parce que l’efficacité d’un réseau de transport peut se mesurer par son niveau d’intégration à ses différentes constituantes. Or, la Ville de Québec ayant la maîtrise d’œuvre du projet pouvait avoir moins d’intérêt à considérer des dessertes qui ne sont pas de sa responsabilité, notamment dans les municipalités de la rive sur sud de Québec. La Ville de Québec ne pouvait logiquement entreprendre une planification du réseau des transport pour le compte de la Ville de Lévis, par exemple, ni en tenant compte d’un troisième lien.

Par ailleurs, cette vision intégrée aurait permis de répondre aux besoins d’un plus grand nombre de citoyens et de justifier le projet par un plus grand achalandage du tramway.

PARTIE 3 : L’accalmie après la tempête

Le gouvernement du Québec a donné un mandat à la Caisse de Dépôt et de Placement du Québec (CDPQ) afin de proposer des solutions de transport pour la région de Québec, et ce, d’ici les 6 prochains mois. 15

Outre le financement des projets d’infrastructures, l’expertise de la CDPQ en planification des transports n’est pas reconnue. Par contre, en lui confiant le financement du projet, la dette du projet pourrait être soustraite de celle de la province, permettant de libérer des disponibilités de financement pour d’autres projets inscrits au Plan Québécois d’Immobilisation (PQI), notamment pour la construction d’écoles.

Dans une telle éventualité, la CDPQ pourrait exiger des rendements élevés sur ses investissements, soit jusqu’à 8 %, ce qui aurait pour effet d’accroître encore plus les coûts du projet, sans considérer que la contribution du gouvernement fédéral qui ne serait pas assurée.

La décision de confier ce mandat à la CDPQ pourrait aussi être motivée par la volonté de gagner du temps, afin de laisser passer la tempête. Reste à voir si ce sera la quatrième erreur.

Louis Bellemare

  1. Couillard et Labaume présentent un ambitieux projet de tramway à Québec ↩︎
  2. Un tramway nommé désir de modernité et de mobilité ↩︎
  3. Projet de tramway, trois décrets adoptés par le gouvernement du Québec ↩︎
  4. Précisions concernant les coûts, l’alimentation électrique et l’insertion de la plateforme ↩︎
  5. Tramway, nous nous sommes sommes entendus, Regis Labaume ↩︎
  6. Décret no 655-2022, ↩︎
  7. Le projet de tramway avance, un premier appel d’offfres lan↩︎
  8. Alstom fournira 34 tramways Citadis leur maintenance pour la Ville de Québec au Canada ↩︎
  9. Appels de qualifications, deux consortiums intéressés pas le volet infrastructure du tramway de Québec* ↩︎
  10. Les financiers ont dit non ↩︎
  11. Inflations-Impact de l’inflation sur la construction au Canada ↩︎
  12. inflation: l’impact sur le secteur de la construction ↩︎
  13. Quel est l’impact des taux d’intérêt sur vos projets d’entreprise ↩︎
  14. Le financement des infrastructures, rendements et risques des projets d’infrastructures ↩︎
  15. Legault reprend le projet et le confie à la Caisse de Dépôt ↩︎
Published inÉconomie québécoisefrançaisGénéralPolitique québécoise

4 Comments

  1. Jean-Claude Cloutier Jean-Claude Cloutier

    Bonjour Louis,

    Bravo pour ce billet bien documenté et bien écrit et félicitations pour tes contributions à l’éclairage et à la discussion de différents enjeux de politique publique.

    J’aimerais apporter quelques commentaires additionnels dans ce dossier complexe.

    • Je ferais reculer d’un cran l’historique du projet; celui-ci a été lancé à titre de « second best » après l’échec des discussions avec le maire Lehouillier (selon l’interprétation du maire Labeaume) sur un projet de SRB qui se serait développé sur les deux rives et aurait permis une desserte de proximité d’une part plus importante de la population tout en répondant à une vision régionale intégrée du transport public.
    • La construction des rames par Alstom est un peu inquiétante compte tenu de la situation financière précaire de ce constructeur; pour préserver des emplois à La Pocatière, le gouvernement pourrait éventuellement devoir subventionner d’une façon ou de l’autre le maintien en fonction de l’usine. Je n’ai rien contre cette aide éventuelle, mais elle ajoutera au coût du projet.
    • La Caisse s’est embarquée dans les projets d’infrastructures au moment où il lui était de plus en plus difficile de trouver des rendements intéressants pour ses placements. Avec le REM, le gouvernement lui garantit 8 %, ce qui revient à dire qu’il épongera tous les déficits ne permettant d’obtenir ce rendement. Si un scénario semblable est retenu pour Québec, cela ajoutera à la facture du projet. Pour le moment, le gouvernement n’est pas très réceptif aux doléances avec les commissions de transport aux prises avec des déficits récurrents et croissants. Il pourra plus difficilement faire la sourde oreille quand il s’agira du bas de laine des Québécois.

  2. Michel-Marie Bellemare Michel-Marie Bellemare

    Bonjour Louis,
    j’aime bien ta recension.
    C’était un des thèmes récurrents des analyses de Gérard Bélanger, que celui des impacts de la dissociation entre les payeurs et les bénéficiaires dans les cas de programmes publics, et qui explique en bonne partie ce que tu appelles l’erreur de précipitation, en plus bien sûr de l’incertitude des décideurs devant la reprise d’une inflation qu’on n’avait pas vue depuis plus de trente ans, et dont la plupart des économistes ont sous-estimé la durée.
    La deuxième erreur, comme tu l’appelles, celle de la réduction du projet au tracé principal de l’axe est-ouest a aussi fait ressurgir cette opposition entre les intérêts des banlieues d’avant 2002 et ceux des villes centres Québec et Sainte-Foy, et il ne fallait pas être devin pour prévoir qu’elle ferait fondre l’appui au projet.
    Pour ce qui est de la nécessité d’une vision globale, je suis bien d’accord avec toi, mais je ne comprends toujours pas pourquoi ce n’est pas le ministère qui n’a pas pris le leadership de définir cette vision en collaboration avec les instances municipales et régionales. Et je comprends mal qu’on confie le mandat d’expertise à la Caisse qui a des intérêts pécuniaires dans le dossier, tant par le rendement qu’elle va exiger, que par la participation importante qu’elle détient dans Allstom.
    Enfin, un point qui est rarement souligné, et qui me hante dans ce dossier, c’est celui de l’innovation technologique. Beaucoup d’indices nous laissent croire que nous sommes à la veille d’un point de rupture dans les tendances en matière d’électrification des transports, et notamment des batteries, des véhicules autonomes et des tramways à batteries rechargeables. Alors que les projets de référence le plus souvent évoqués ont été construits il y a 20 ans ou plus
    Une entreprise a proposé un tel concept pour Québec, dans le but avoué d’en faire un projet de vitrine. L’argument de fiabilité a été utilisé pour le rejeter du revers de la main, même si depuis longtemps, il est avancé que les marchés publics devraient faire une plus large place à l’innovation.

  3. Jean-Claude Cyr Jean-Claude Cyr

    Dans le fond le projet de tramway n’est pas populaire parce que les gens ne veulent pas payer 60-70% des coûts du projet pour remplacer des infrastructures qu’on a déjà payé et qu’il faut déplacer car on met un tramway, une infrastructure de jadis mal adapté à notre climat et qui bloque nos avenues au cœur de la cité tout en réduisant la beauté de celle-ci.
    Je continue de penser qu’un métro en profondeur ou SRB en attendant, couvrant les 2 rives avec les 2 ponts réparés adéquatement pour garantir leur pérennité dans l’ouest de la ville, et avec un 3e lien dans l’est soit par Beauport/Île d’Orléans donnerait à la région un transport structurant, une sorte d’anneau, qui amènerait dans 1 ou 2 décennies une région de Québec autour de 1.5 million d’habitants qui contribuera à développer (de par ses nouveaux arrivants) l’économie de toute la province et ce en français.

    Nous sommes la capitale nationale, donnons nous les moyens de réaliser pleinement les possibilités de notre milieu comme capitale et aussi comme foyer de rayonnement français aux quatre coin de la province.

    C’est ça le rêve et la vision pour l’avenir de notre région et de nombreux projets immobiliers se développeront tout autour de l’anneau et non seulement dans un petit parcours au centre-ville pour quelques entrepreneurs immobiliers.

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