La Russie a joint officiellement l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) en 2012 après dix-neuf ans de complexes négociations.
Initialement, cette demande émanait d’une époque où Boris Eltsine, un président non communiste d’une république soviétique, avait contribué à la dislocation de l’Union soviétique et à la privatisation de nombreuses entreprises. Plusieurs de ces entreprises furent cédées aux mains d’oligarques russes[1] [2]
Pour certains, la participation à l’OMC était une bonne nouvelle, malgré des réticences internes. Les opposants craignaient que la baisse des droits de douane nuise à nombreuses industries héritées de l’époque soviétique. Une entente basée sur une économie de marché devenait compromettante pour un pays socialiste qui protège ses industries. Ceci pouvait aussi être interprété comme un abandon des principes chers au communisme et au dirigisme de l’État. Vladimir Poutine, avait lui-même fait des mises en garde contre le prix à payer pour joindre cette organisation. Toutefois, la crise économique mondiale de 2008-2009 aurait eu raison du bien-fondé d’une adhésion à l’OMC. [3] À ce jour, on peut considérer que cette adhésion n’a pas eu tous les succès escomptés.
Pourquoi la Chine a-t-elle réussi là où la Russie a échoué ?
La voie chinoise
La Chine qui est aussi membre de l’OMC depuis 2002 a su bénéficier largement des avantages l’OMC et du commerce international. Ceci lui aurait permis d’assurer un taux de croissance inégalé par d’autres pays et d’accroître substantiellement le niveau de vie de sa population. La Banque mondiale estime que la croissance économique chinoise a sorti 500 millions de personnes de la pauvreté. Sans encenser ce pays dont le régime musèle les critiques à son égard et emprisonne les détracteurs du régime et les défenseurs de la démocratie, on admet que son développement a été phénoménal en quelques années autant sur le plan économique et que technologique. ,[4]
L’expérience chinoise repose sur un équilibre entre la marchéisation des ressources et des biens et le contrôle gouvernemental au niveau macroéconomique. [5] Depuis son adhésion à l’OMC, voilà déjà plus de 20 ans, elle s’est ouverte sur le monde extérieur, notamment par ses exportations basées sur les investissements étrangers, par sa main-d’oeuvre à bas coûts, et par sa capacité d’adopter rapidement de nouvelles technologies. Ses investissements dans la recherche et l’éducation ont permis une diversification de sa base industrielle et une intégration de son économie dans la plupart des grands marchés mondiaux. Elle a réussi à se développer, en bonne partie, grâce à l’Occident et son adhésion à l’OMC.
La voie de la Russie
La Russie a joint l’OMC en 2012 après des négociations ardues, dix ans après la Chine. Le bilan indique que la voie de la Russie est toute autre et qu’elle n’a pas mené au même succès.
Depuis le délaissement des industries lourdes et désuètes de l’ancienne Union soviétique, elle est devenue une économie de rente basée sur les ressources naturelles, notamment du pétrole, du gaz naturel et divers métaux et minéraux. Bien que la croissance de l’économie russe ait été importante depuis quelques décennies grâce aux revenus extraordinaires basés sur les exportations des hydrocarbures, l’ouverture de l’économie russe ne s’est pas diversifiée autant que l’économie chinoise.
Les revenus de la vente des ressources naturelles (surtout le pétrole et le gaz naturel) servent en bonne partie au développement de la filière industrialo-militaire. Le pouvoir central maintient un contrôle absolu sur les grandes sociétés d’État, dont plusieurs sont entre les mains des oligarques devenus des alliés de Poutine. La dépendance de Russie au secteur des hydrocarbures et les réinvestissements dans l’armement lui auraient fait perdre le pari de la diversification économique que lui garantissait l’OMC.
Fait intéressant, selon certaines recherches comparant les deux régimes politiques, la Chine est beaucoup plus décentralisée que ne l’est la Russie, notamment dans l’agriculture et dans le secteur des petites industries. Il s’agirait là d’un héritage de l’époque de Mao, un héritage préalable au succès de la réforme de Deng Xioping.[6]
La guerre en Ukraine et le nouvel ordre mondial
La guerre
Poutine lui-même, lors de ses premiers mandats présidentiels manifestait une ouverture envers les économies de marché et les partenariats avec des pays occidentaux. Il avait proposé à l’Union Européenne la création d’un marché économique unique et aux États-Unis l’entrée de la Russie dans l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN).
Les États-Unis s’y sont opposés. Par conséquent, on peut imaginer la frustration de la Russie de voir l’Ukraine et la Pologne joindre l’OTAN, alors qu’ils étaient considérés comme des anciens territoires soviétiques, alors que cette même organisation avait été initialement été constituée au début de la guerre froide pour protéger l’Europe et les États-Unis de la menace communiste. On comprend mieux la perception de la Russie de se sentir comme un ennemi face au monde occidental.
Depuis la présidence de Poutine, la Russie a évolué rapidement. Avant lui, Gorbatchev caressait l’idée de créer un État européen doté des règles de droit en se débarrassant des structures du pouvoir soviétique et en préparant le démantèlement de l’Union soviétique. Depuis l’humiliation du refus américain, Poutine a fait l’inverse. Il s’emploie à rétablir un pouvoir autocratique. [7]Il rêve de reconstituer l’ancienne Union soviétique et n’en est pas à ses premières armes dans ses tentatives d’expansion qui ont eu cours et qui ont, faut-il l’avouer, réussi. Qu’on pense à la Crimée, la Biélorussie et la Tchétchénie.
Mais en dehors des motivations politiques, l’intérêt économique demeure au centre du conflit. Avant le déclenchement de la guerre en Ukraine, la Russie cherchait à sécuriser les exportations de son gaz naturel vers l’Europe à travers le réseau de gazoduc ukrainien. Ce réseau constitue l’une des artères clé pour approvisionner le continent européen dont 45 % des importations de gaz viennent de la Russie.
Dans un tel contexte, la coopération de l’Ukraine et son alliance devenait une nécessité pour la Russie. Sans pouvoir l’obtenir, Poutine expliqua qu’une opération militaire spéciale devenait nécessaire pour sécuriser son pays. Ce fût donc la guerre, comme l’histoire récente nous le démontre.
Un nouvel ordre mondial
En fait, le désastre de la guerre en Ukraine demeure toujours lié à la même erreur de Poutine : le mépris qu’il démontre envers l’OMC, les démocraties occidentales et leurs organisations internationales, le développement par les avantages comparatifs et la diversification industrielle. Il aurait tout misé sur les ventes d’hydrocarbures pour accroître les revenus fiscaux et pour sécuriser militairement la Russie, et éventuellement reconstruire l’URSS.
Sur le plan économique, la guerre en Ukraine lui a déjà fait perdre beaucoup. Outre les sanctions commerciales, de nombreuses entreprises occidentales ont quitté la Russie. Par ailleurs, la reconstruction de la confiance des entreprises et des pays occidentaux sera longue et difficile. La Russie devra quitter l’OMC et plusieurs autres organisations internationales.
Devant cette situation, il n’est pas surprenant de constater qu’elle se cherche de nouveaux alliés à la fois politiques et économiques, dont les pays du BRIC (Brésil, Russie, Indes, Chine) qui sont tous des économies en développement rapide.
En fait, Poutine essaie de ramener le débat politique à une question d’équité condamnant le colonialisme des pays occidentaux par lequel la Russie n’a jamais elle-même été visée. Il parle de la nécessité d’un ordre juste dans lequel tous les États seraient libres de conserver leur part. Les moyens pour atteindre cet objectif passerait, non en s’associant à l’Occident, mais en le contournant.[8]
Selon certains, la guerre en Ukraine est perçue par le monde non occidental comme une tentative de la Russie de briser le système de domination occidentale sur la scène internationale. On ne percevrait pas cette volonté de punir la Russie comme on le perçoit en Occident. Ainsi, il serait juste de s’opposer aux anciennes puissances coloniales.[9]
En conclusion, on semble oublier l’apport extraordinaire du monde occidental au développement économique et social. La guerre en Ukraine ne devrait-pas servir de prétexte au maintien de dictatures qui échoueront, en raison de la nature même de leur raison d’être qui est celle de contrôler et non de coopérer.
Louis Bellemare
[1] La Russie fait son entrée à l’OMC
[3] La Russie fait son entrée à l’OMC
[4] Chine : tout ce qu’il faut savoir sur les droits humains,
[5] La voie chinoise de développement La voie chinoise de développement – Études internationales – Érudit (erudit.org) par. 12
[6] La voie chinoise développement, par 29, La voie chinoise de développement – Études internationales – Érudit (erudit.org)
[7] Courrier international, hors-série (avril-mai,2021) La Perestroika à l’envers de Vladimir Poutine, Viktor Erofeev
[8] Courriel international, hors-série (avril-mai, 2023), Moscou doit séduire la majorité mondiale, Fiodor Loukianov
[9] Courriel international, hors-série (avril-mai, 2023), Moscou doit séduire la majorité mondiale, Fiodor Loukianov
Be First to Comment