…dans la pratique, ceux qui adoptent le point de vue du Nirvana cherchent à découvrir des divergences entre l’idéal et le réel, et si des écarts sont constatés, ils en déduisent que le réel est inefficace.
L’approche du Nirvana est susceptible de nous faire commettre des erreurs logiques : celle de penser que l’herbe est toujours plus verte ailleurs, qu’il existe des repas gratuits et que les gens pourraient être différents.
Harold Demsetz, L’approche du Nirvana
Là où les péquistes ont échoué…
S’il y a une chose que les péquistes ont échoué, c’est bien d’avoir trop essayé de convaincre la population du bonheur du Nirvana. La souveraineté, ce vieux projet de société ayant été oublié depuis un temps, un vent de panique souffle maintenant sur la population francophone du Québec, qui réalise qu’elle est de plus en plus minoritaire au Canada, et qu’elle a de moins en moins de pouvoir au gouvernement du Canada.
Selon plusieurs, le temp presse pour reprendre le contrôle de soi, de notre identité et de notre destiné. Bien sûr, la souveraineté est techniquement possible. Bien sûr, le Québec dispose de tous les outils et les talents pour y arriver, d’autant que le droit international protègerait l’intégrité actuelle du territoire québécois, selon les experts.
Majoritaire dans notre propre pays ? La réponse est oui. Mais, serions-nous plus riches, plus heureux et moins minoritaires pour autant dans une population nord-américaine de près de 400 millions de d’habitants ? Il faut poser aussi les véritables questions.
La stratégie de Pierre Saint-Pierre Plamondon (PSPP)
Avec son talent, ses convictions et ses prétentions de bon droit, PSPP a réussi à remettre ce projet de souveraineté sur la scène politique. L’homme est habile pour parler aux médias. Il a le sens de l’instantanéité et du spectacle.
Sa stratégie ? Rejoindre les jeunes, ceux qui n’ont jamais vécu de référendum sur la souveraineté. Les personnes plus âgées, elles, ont tout de même vécu les perturbations sociales de ces deux référendums qui ont monopolisé l’espace médiatique pendant des dizaines d’années au Québec, tout en laissant de côté des enjeux sociaux de première importance et jamais résolus, dont la pauvreté presque extrême dans certaines couches de notre population.
Après presque 30 ans d’accalmie, on réalise que la démographie a évolué. Ceux qui avaient moins de 18 ans lors du dernier référendum de 1995 ou qui n’étaient même pas nés, qui n’avaient jamais voté, représentent maintenant près la moitié de la population du Québec. Il faudrait donc, à eux aussi, leur donner la chance de se laisser convaincre comme disait René Lévesque. Le beau risque maintenant pour le PQ, c’est qu’il faut repartir à zéro.
Le budget de l’an 1 d’un Québec souverain
C’est dans ce contexte que PSPP a présenté son budget de l’an 1 en pro forma d’un Québec souverain, le 23 octobre dernier. Pour PSPP, l’indépendance serait non seulement viable, mais profitable financièrement pour le Québec. Un Québec indépendant récupèrerait les 82,3 G$ des revenus qu’il envoie actuellement à Ottawa en 2023-2024, lesquels, selon le document présenté par PSPP, ne servent à financer que très peu de services à la population.
Mais, en récupérant ces sommes, les auteurs du document estiment qu’il y aurait des gains d’efficacité de 8,8 G$ en élimant les chevauchements, une somme qui compenserait en partie ce que nous recevons en péréquation au net (9,6 G$, soit 13 milliards de ce programme fédéral que nous recevons moins ce que nous envoyons pour la péréquation). Par ailleurs, des économies supplémentaires de 2,5 G$ seraient réinvestis en éducation et en bonification de l’aide aux aînés.
Le cadre financier d’un Québec indépendant prévoit qu’en 2023-2024 les revenus du gouvernement du Québec s’établiraient à 200,3 G$, dont 82,3 G$ récupérés d’Ottawa. Les dépenses pour leur part s’établiraient à 210,5 G$ et le service de dette à 17,9 G$.
Selon le document du PQ, au lendemain d’un référendum gagnant, le Québec serait parmi les pays les plus riches de la planète et parmi les économies les plus avancées. Il rivaliserait aux côtés des pays du G7 et de l’OCDE. Le Québec compterait aussi quelque 200 ambassades de différents pays.
Un manque de crédibilité
D’emblée, mentionnons que s’il est vrai qu’au lendemain d’un référendum le Québec serait l’une des économies les plus prospères du monde, on peut se demander en quoi il serait bénéfique de se séparer du reste du Canada qui, après tout, ne nous aurait pas si mal servi.
D’autre part, l’exercice se limite à une comptabilité statique établie à partir de ratios et des proratas des dépenses actuelles du gouvernement fédéral et sa dette publique. En fait, l’exercice fait totalement abstraction du comportement des agents économiques (investisseurs, entreprises, population, travailleurs) après une déclaration d’indépendance.
Or, ce sont ces comportements qui soutiennent la force de notre économie et qui auront pour effet de déterminer les niveaux d’équilibre des revenus et des dépenses du budget de l’an 1, soit par les taxes et les impôts payés au gouvernement, et non pas le niveau de dépenses actuelles du gouvernement fédéral. Les résultats financiers ne sont que le reflet du niveau d’activité d’une société. Ils illustrent le niveau des équilibres déterminés par le comportement de ces agents.
Les exemples qui suivent illustrent ce propos.
En 1967, pourtant pas si longtemps, Montréal était la métropole du Canada. Depuis cette date de nombreux sièges sociaux ont quitté la métropole. Pas tous mais plusieurs, ont quitté par crainte que le Québec devienne indépendant, notamment dans les secteurs bancaires et de la finance. Une entreprise qui œuvre au niveau pancanadien, n’a pas d’intérêt à maintenir des activités administratives dans une juridiction qui est différente de celle de son marché naturel. Il ne faut pas le prendre personnel.
Les fuites de capitaux sont liées pour leur part à l’incertitude que peut rapporter des investissements effectués au Québec. Ces fuites pourraient affaiblir la capacité financière des entreprises à se développer et à financer leurs projets.
L’économie québécoise est particulièrement bien intégrée à l’économie du reste du Canada. Les échanges commerciaux du Québec avec les autres les provinces sont, notamment avec l’Ontario. À titre indicatif, le commerce interprovincial représentait 35,2 % de l’ensemble de nos échanges extérieurs en 2019, soit 156,4 G$, sur un total de 444 G$. Rien n’indique qu’après une déclaration d’indépendance, la structure des échanges commerciaux des entreprises restera la même. L’économie ontarienne pourrait se retourner vers d’autres provinces ou vers les États-Unis.
Bien que le poids de la population du Québec ait faibli avec les années sur l’ensemble canadien, la population d’un Québec souverain ne se remettra pas à croître de façon plus importante si le Québec se sépare du reste du Canada. Mais, la mobilité de la population sera toutefois un facteur important de croissance et plusieurs nouveaux immigrants pourraient décider de quitter le Québec.
L’annonce d’une scission du Canada aura certainement un impact sur la dépréciation de la monnaie canadienne. Puisqu’une part non négligeable de la dette fédérale est établie en argent américain, les coûts du service de dette pourraient s’accroître substantiellement suite à cette dépréciation de la monnaie. L’adoption de notre propre monnaie ne réglerait en rien le problème puisque celle-ci pourrait se déprécier par rapport au dollar canadien.
Conclusion
L’exercice présenté par PSPP dans son budget de l’an 1 semble plutôt farfelu et ne démontre pas en quoi le Québec, à partir d’une simple feuille de calcul des montants récupérés du fédéral, serait plus riche.
Généralement, les résultats financiers d’un gouvernement sont le résultat d’une activité économique d’une région, dont les revenus sont prélevés par le jeu des impôts et des taxes. Or, cette activité est elle-même déterminée par le comportement des agents qui la composent. Les exemples de comportements qui ont été illustrés plus haut indiquent comment ils pourraient affaiblir l’économie du Québec et venir diminuer les revenus fiscaux du gouvernement.
Il serait tout-à-fait illusoire qu’il n’y ait aucun changement de ces comportements, tant du côté des investisseurs, des entreprises de la population.
En politique, dit-on, il faut définir ses ennemis et ses propres champs de bataille. PSPP aura tout de même réussi à remettre la souveraineté dans l’agenda médiatique. Par contre, le reste ne lui semble peut-être pas très important.
Louis Bellemare
Bonjour Louis,
Ce billet m’apparaît exagérément sévère sur le document du PQ. À mon avis, ce parti n’avait pas le choix de faire cet exercice et de la publier pour éviter que l’on ne lui serve l’argument de l’absolue nécessité de la péréquation.
Je ne crois pas que le document avance catégoriquement qu’un Québec souverain serait plus riche. Il en évoque la possibilité, mais reconnaît que la performance économique d’un Québec indépendant est impossible à prévoir. Elle peut être bonne ou mauvaise même si le potentiel économique du Québec permet d’être optimiste. Le document ne défend qu’une seule chose de façon formelle : le gouvernement d’un Québec souverain aurait les moyens fiscaux suffisants pour offrir à la population des services au moins équivalents à la situation actuelle.
Pour ma part, je crois que l’adhésion ou non des Québécois à l’idée de souveraineté nationale ne doit pas se jouer d’abord sur une question de rentabilité, mais plutôt sur la volonté de prendre en main notre destin comme nation. Depuis 250 ans, l’appartenance du Québec au Canada a été une source de frustration pour les deux parties et les choses ne promettent pas de s’améliorer dans un Canada dont les valeurs sont souvent à l’opposé de celles du Québec. Il est temps de mettre fin à l’expérience. Ceci étant dit j’admets volontiers que l’indépendance n’est pas une recette magique et qu’elle ne suffira pas à assurer la survie à long terme de la culture québécoise. Je reconnais aussi que bien des questions restent à examiner, notamment en matière économique. J’en ai évoqué quelques-unes dans un récent blogue. (https://tinyurl.com/yumqj4ee )
Je ne peux commenter l’ensemble du blogue faute de temps et d’espace, Je me borne à un commentaire et à une précision.
Le déplacement de sièges sociaux (Sun Life, Banque Royale), la fermeture d’usine (Cadbury’s) et l’émigration d’anglophones vers l’Ontario étaient amorcés depuis longtemps avant le 15 novembre 1976 à la suite d’une variété de facteurs dont le déplacement du centre de gravité économique vers l’Ouest (début de l’exploitation pétrolière en 1947, ouverture de la Voie Maritime en 1957, Pacte automobile en 1964), le déclin rapide des secteurs mous suite à l’abaissement des barrière commerciales et d’autres éléments que j’ai abordés dans un blogue ( https://tinyurl.com/ynollzxm ). Ces départs et ces fermetures auraient eu lieu de toutes façons et ils ont forcé l’économie québécoise à miser sur ses propres ressources. Cela a ouvert la voie à Québec Inc. Aujourd’hui l’économie québécoise est plus diversifiée que celle de toutes les autres provinces, incluant celle de l’Ontario.
Les ¾ de la dette du gouvernement est détenue par des investisseurs canadiens, comme les sociétés d’assurances et des fonds de pension, des institutions financières et des gouvernements. Voir à ce sujet un rapport sur la gestion de cette dette. (https://tinyurl.com/yl3xdx7l )
Salutations.
Jean-Claude
Bonjour Jean-Claude,
Merci pour tes commentaires. Je respecte ton opinion et j’ai toujours pensé que tu étais un excellent économiste. Mais, le document présenté pas PSPP n’est pas un document économique, C’est un document politique.
Le but de mon article n’était pas de faire le pour et le contre la souveraineté. En fait, j’avoue que je ne sais pas moi-même si ce serait une bonne chose.
Toutefois, j’ai beaucoup de difficultés avec l’approche de PSPP qui présente un budget de l’an 1 avec des décimales près, (et je ne suis pas le seul)
https://lactualite.com/politique/finances-dun-quebec-independant-le-danger-du-presentisme/
dans lequel on affirme le plus sérieusement du monde ce qui suit sur la base des chiffres présentés dans le document:
Un Québec indépendant ferait également meilleure figure que la majorité des économies avancées, Un Québec, libre de ses choix, page 3
De rajouter PSPP, «Je suis très convaincu que l’économie va être propulsée par cet événement-là!», Le Journal de Québec, le 20 octobre
Je te rappelle que les chiffres d’un budget sont des prévisions, basées sur un paquet d’hypothèses. De plus, on explique que les calculs ont été vérifiés par six économistes. J’ai bien lu ton article, et tu sembles toi-même contester leurs propres chiffres. J’en conclus que tu n’étais pas de ces six.
Pour ma part, tout ce que j’ai voulu faire c’était de donner des exemples de mouvements ou des décisions de nos agents économiques qui pourraient remettre en question la validité des prévisions.
Par exemple, selon les journaux de l’époque, Jacques Parizeau, pour parer à tout risque de turbulences financières, avait réservé des milliards $ pour les deux années à venir. «Les coffres étaient pleins, confirme l’ex-conseiller du premier ministre Jacques Parizeau, Jean-François Lisée.
Le gouvernement, Hydro-Québec et la Caisse de dépôt et placement disposaient de réserves liquides de 17 milliards de dollars. De plus, la Banque Nationale, la Banque Laurentienne et le Mouvement Desjardins avaient pour leur part accumulé 20 milliards de dollars. On explique que Québec souhaitait ainsi se prémunir contre des retraits bancaires massifs de citoyens paniqués et entreprendre les négociations avec le Canada en ayant les reins solides. On avait baptisé l’opération «Plan O».
Comment PSPP peut-il prédire qu’il n’y aurait pas de turbulence et ignorer ces faits ?
https://www.journaldequebec.com/2015/10/26/le-quebec-etait-pret-a-faire-lindependance
Dans le cas d’une scission du Canada, rien n’indique qu’il n’y aurait pas de dépréciation de la monnaie canadienne, d’oû une augmentation du service de la dette en $ américain. Rien n’indique qu’il n’y aurait pas une décote, en raison du risque, ce qui aurait encore pour effet d’acccroître le service de la dette. Lucien Bouchard s’est rendu à New York pour convaincre les financiers de ne pas décotter le Québec.
Par ailleurs, on semble faire peu de cas des dépenses de transitions. Migrations des systèmes informatiques, services de douanes, adaptation des aéroports et autres systèmes de transports, transferts des actifs. Ce peut coûter des milliards $.
Je crois que la population a le droit de savoir la vérité.
PSPP ne fait pas de campagne de peur. Il promet le Nirvana.
Salutations
Bonjour Louis,Je crois que le but du document a été mal compris, notamment parce que l’on a spinné le thème d’un « budget de l’an 1 ». Ce n’est pas un document budgétaire et encore moins économique. C’est simplement un exercice de comptabilité visant à déterminer si en récupérant les responsabilités, les dettes et les moyens fiscaux du gouvernement fédéral, le gouvernement du Québec pourrait assurer le maintien des services offerts actuellement aux Québécois par les deux ordres de gouvernement. Le PQ était obligé de faire cela pour réfuter l’argument préféré de Legault et de plusieurs fédéralistes à l’effet que sans la péréquation, le Québec serait dans la dèche. Ce n’est pas la première fois que cette démonstration est faite et je crois que la méthodologie employée est rigoureuse. C’est, je crois, la validité de cette méthodologie qu’ont attesté les 6 économistes consultés.
Je reconnais que l’introduction de PSPP et les deux derniers chapitres du document débordent sur le politique et font miroiter de grands avantages pouvant résulter de l’indépendance. Certes, ces avantages sont présentés comme incertains et purement illustratifs, mais le lecteur pressé comprend qu’il s’agit d’engagements et de certitudes. Il aurait été préférable que le PQ ne s’engage pas sur ce terrain puisqu’il fait oublier la raison d’être du document qui, encore une fois, a pour but premier de montrer que caeteris paribus les finances publiques seraient équilibrées si le gouvernement du Québec rapatriait les moyens budgétaire et financiers et les responsabilités du gouvernement fédéral.
Bien sûr, l’équilibre des finances publiques n’est qu’un aspect d’une éventuelle accession du Québec à la souveraineté nationale. Il est certain que les discussions avec le gouvernement fédéral pourraient être corsées et que les financiers pourraient être nerveux. Mais je crois que le Québec aurait des atouts importants pour tenir son bout dans ces négociations et rassurer les banquiers. Il représente un marché non négligeable pour le reste du Canada, il serait une voie de transit entre le Canada de l’est et le Canada de l’ouest, il a une infrastructure manufacturière que les entreprises voudront continuer d’utiliser, il a des ressources énergétiques et minières qui auront une grande importance économique et stratégique dans les prochaines décennies, il y aura toujours un marché pour l’exportation de son porc, de ses 2 x 4, de son aluminium, de ses avions et de ses jeux vidéos, entre autres choses.
Comme je l’écrivais dans mon dernier blogue, le PQ doit encore clarifier des questions beaucoup plus difficiles que celles des finances publiques. Il y a notamment celle de la monnaie. La perspective d’une monnaie québécoise a de quoi effrayer les indécis bien davantage que la perte de la péréquation ou des pensions de vieillesse. Mais conserver le $ C enlève une bonne partie des raisons économiques de faire l’indépendance.
« l’inconnu est toujours un rapport de force entre le bénéfice et le risque.
– Edgar Grospiron
Merci d’explorer.