Le Canada suscite beaucoup de convoitise, notamment pour son étendue géographique, l’abondance de ses ressources naturelles, son accès aux mers pacifique, atlantique et arctique ainsi qu’à celui du marché intérieur des États-Unis par la voie du Saint-Laurent. Le Canada compte l’une des populations les plus éduquées du monde, l’un des meilleurs niveaux de vie et un de système de protection sociale des plus développés.
Malgré tous ces atouts, sa souveraineté semble parfois remise en question pour toutes sortes de raisons.
La souveraineté, dit-on, c’est le « pouvoir suprême reconnu par l’État qui implique l’exclusivité de sa compétence sur le territoire national et son indépendance absolue dans l’ordre international où il n’est limité que par ses propres engagements. » (Wikipédia). Mais, le Canada est une monarchie constitutionnelle et, malgré notre affiliation folklorique au roi Charles III d’Angleterre, roi des royaumes du Commonwealth, notre souveraineté demeure menacée par plusieurs forces extérieures. La montée de nouvelles puissances économiques comme la Chine, l’ingérence politique de celle-ci, mais aussi de l’Inde, la Russie, et même des États-Unis, l’influence des multinationales américaines tout aussi puissantes, ou bien les difficultés à respecter nos propres engagements internationaux, notamment par rapport à l’OTAN, en sont quelques exemples.
Les propos révélateurs de Donald Trump
C’est Donald Trump qui a fait sursauter tout le monde, en proposant que le Canada devienne le 51e état américain. Ce serait une étrange condition pour ne pas imposer de tarifs douaniers.
Un peu comme s’il avait voulu impressionner son ami Poutine en lui démontrant qu’il est tout à fait possible, sans guerre, sans provoquer la mort de centaines de milliers de personnes comme c’est le cas en Ukraine, d’annexer un territoire d’un pays qui est presqu’aussi grand que la Russie elle-même, et qui ferait des États-Unis d’Amérique le plus grand territoire du monde. De quoi rendre Poutine totalement jaloux et même fou de rage.
On parle d’une blague bien sûr. Mais, les propos de Trump sont révélateurs et doivent être pris au sérieux. Ils révèlent la faiblesse de la posture canadienne depuis plusieurs années qui a été soutenue par la politique de « l’alignement » [1] qui pose comme postulat que nous sommes un partenaire privilégié des États-Unis, et donc que nous devons faire ce qu’ils font. C’est la voie facile, issue de la gouvernance conservatrice datant de plusieurs années sous Brian Mulroney et Stephen Harper, mais qui se perpétue. Les conséquences sont sans appel : sans distinction apparente de nos propres politiques ou même de notre identité, nous pourrions donc nous considérer comme des américains.
Mais où cela nous mène-t-il ? Joe Biden n’a pas corrigé le tir protectionniste du premier mandat de Donald Trump ce qui a rendu les relations commerciales avec les États-Unis plus difficiles. Pourtant, ce protectionnisme américain s’explique principalement par la montée de la Chine ou du BRICS comme puissances économiques, ce qui en soit n’a rien à voir avec nous-mêmes. L’économie du Canada, pour assurer notre niveau de vie, doit rester ouverte sur le monde, une situation qui se dissocie de la politique d’alignement par rapport aux politiques protectionnistes récentes des américains et qui risque de nous amener dans un cul de sac. Nous l’avons vu. En pensant leur faire plaisir, à l’instar de ce qu’ont fait les américains, en imposant des tarifs douaniers de 200 % sur l’importation de véhicules électriques chinois, nous constatons que ce sont les américains eux-mêmes qui, après coup, veulent nous imposer des tarifs douaniers de 25 % sur les importations de tous les biens canadiens aux États-Unis. Un véritable coup de poignard qui nous rend perdants sur toute la ligne.
Seuls à défendre la banquise
Il y a une autre raison pour prendre la boutade de Donald Trump très au sérieux. Cette image de faiblesse du Canada se répercute bien sûr sur l’opinion que d’autres pays se font du Canada, alors même que notre position géographique et l’abondance de nos ressources naturelles suscitent la convoitise. De fait, le territoire canadien inclut l’immense territoire de l’Arctique dont la protection est coûteuse et qui, pour l’instant ne rapporte pas beaucoup.
Mais, de plus en plus, on perçoit la présence de la Russie, de la Chine et d’autres pays qui cherchent à s’implanter dans le Grand Nord. L’avenir évoque d’énormes possibilités avec l’utilisation du passage du nord-ouest qui écourte la distance pour le transport des marchandises entre l’Asie et l’Amérique, mais aussi la présence de quantités considérables de ressources naturelles et même énergétiques. (Voir à cet égard, mon article intitulé La navigation dans l’Arctique: un enjeu économique majeur .
Le Canada répond par le renforcement de sa présence militaire et diplomatique en Arctique, par l’envoi de nouvelles patrouilles de destroyers, de brise-glaces et de sous-marins et l’utilisation d’un plus grand nombre de drones. [2] Mais, il ne peut défendre seul cet immense territoire et ses ressources pourraient s’avérer être insuffisantes sans l’aide d’un allié comme les États-Unis qui convoitent eux-mêmes le Grand Nord.
Les États-Unis s’impliqueront de plus en plus dans la défense du territoire sous l’égide du NORAD, le Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord, [3] mais, sous la pression américaine, le Canada devra respecter son engagement vis-à-vis l’Organisation de l’Atlantique Nord (OTAN) [4] qui est d’accroître ses dépenses militaires au moins jusqu’à 2% de son PIB. Dans le contexte de son immense déficit budgétaire, il pourrait avoir de la difficulté à y arriver.
Alors, les conclusions s’imposent d’elles-mêmes. Si le Canada était le 51ième de ses états, ne serait-il pas plus facile pour les États-Unis d’investir et de contrôler les ressources du Grand Nord afin d’en assurer leur propre protection contre la Chine ou la Russie par exemple, ainsi que leur propre développement économique ?
Parler d’une seule voix
Suite à l’annonce des intentions de Donald Trump sur l’imposition des tarifs, la réaction des premiers ministres provinciaux a été vive et erratique, ce qui semble indiquer un manque d’unité ou de communication.
Doug Ford s’est empressé d’envoyer des messages publicitaires sur les grands médias américains soulignant les bienfaits des échanges entre l’Ontario et les États-Unis, un peu comme si l’Ontario était en soi le Canada lui-même. La première ministre de l’Alberta, Danielle Smith, a pour sa part accusé le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, d’être responsable des échecs dans les dossiers de la frontière et estime qu’il devra repenser aux politiques qu’il a mises en place s’il veut être pris au sérieux à la table de négociations. [5] Le premier ministre du Québec pour sa part s’entretient comme par hasard avec Donald Trump à l’occasion de l’ouverture de la nouvelle Basilique Notre Dame de Paris. Comme s’il s’agissait de l’endroit de prédilection pour discuter sérieusement de commerce international. Sans la Sainte Basilique, n’aurait-il jamais rencontré Donald Trump ? Sinon, que Dieu exause ses prières ! Pas pire qu’un diner de plaisir, de farces et attrapes à Mar A Lago.
Mais tout ceci indique qu’il y a une sorte de dissension dans les rangs des provinces ou de désorganisation. La force d’un pays souverain n’est-elle pas d’être uni et de parler d’une seule voix ? Bien sûr, les gouvernement fédéral et provinciaux se sont finalement réunis pour discuter d’un plan ou d’une stratégie. François Legault propose de renégocier dès maintenant l’accord de libre-échange entre le Mexique, les États-Unis et le Canada, alors que Doug Ford propose de couper les exportations d’énergie aux États-Unis. [6]Mais les mesures de rétorsions proposées devront être justes et empêcher que certaines provinces soient plus touchées que d’autres, notamment l’Alberta pour l’exportation de son pétrole et le Québec pour l’électricité.
Conclusion
L’enjeu de la souveraineté canadienne pourrait peut-être faire l’objet des discussions de la prochaine campagne électorale qui aura lieu bientôt au Canada.
Louis Bellemare
[1] Le Canada et le robinet géant
[2] Le Canada veut contrer la Russie en Arctique
[3] Les troupes américaines seront plus présentes dans le Grand Nord
[4] La défense canadienne travaille très fort à atteindre le 2% de l’OTAN
[5] L’Alberta craint les possibles tarifs douaniers sur le pétrole
[6] Tarifs de Trump, Doug Ford veut couper l’énergie aux Américains, François Legault veut renogocier l’accord du libre-échange
Très juste Louis, beau texte sur les États désunis canadien. Et au nom de la paix et de l’environnement, le fameux passage du nord ouest ne devrait pas se faire, mais c’est pure utopie.
Bonjour Louis,
Je crois que l’on a beaucoup exagéré le sérieux de l’idée évoquée par Trump d’annexer le Canada.
On ne voit pas trop comment cela serait légalement et légitiment faisable. Même Netanyahou n’a pas encore réussi à annexer la Cisjordanie après 50 ans d’occupation du territoire et ce n’est pas faute de motivation de sa part et des députés ultrareligieux. En outre, les États-Unis cherchent depuis leur indépendance de la couronne britannique à ne pas apparaître eux-mêmes comme des impérialistes. Ils ont mis cent ans à annexer l’Alaska, cinquante ans pour Hawaï et ils ne l’ont toujours pas fait pour Porto Rico qu’ils « protègent » depuis un siècle. Même attitude face aux Philippines et à Cuba qu’ils ont enlevé à l’Espagne au cours d’une guerre déclenchée sous des prétextes douteux et qu’ils ont préféré occuper de facto plutôt que d’en faire des États.
Si elle était possible, l’annexion du Canada n’apporterait pas grand-chose de plus aux États-Unis. Leurs entreprises sont déjà largement établies au Canada et elles en exploitent les ressources quand elles y trouvent du profit. La pénétration de la culture et des valeurs américaines est également très avancée au Canada. Enfin, les États-Unis et le Canada assurent déjà conjointement, via le NORAD, la protection du territoire par des menaces venant du Nord. À mon avis, ces menaces se limitent pour l’instant à l’océan Arctique dont le Canada ne peut légitimement revendiquer qu’une faible portion. Quant à eux, les Territoire Nord-Ouest sont effectivement immenses et recèlent sans doute d’importes ressources énergétiques et minérales, mais leur exploitation est pour le moment impossible en raison de l’éloignement, du climat et de l’absence d’infrastructures. Je ne crois pas que ce territoire suscite vraiment la convoitise de qui que ce soit.
À mon avis, le seul scénario vraiment envisageable est une demande de l’Alberta et peut-être de la Saskatchewan de se joindre aux États-Unis. Cette demande serait sans doute bien reçue par les États-Unis étant les ressources de ces provinces en hydrocarbures, en céréales, en potasse, en uranium et en viande de bœuf. De plus, l’adhésion de l’Alberta à la fédération américaine réduirait de beaucoup la distance entre l’Alaska et les autres États continentaux.
Bonjour Jean-Claude,
Les propos de Trump sont bien sûr une boutade. Mais la question de la souveraineté ne couvre pas nécessairement ses aspects juridiques. À moins d’avoir une guerre ou une invasion et par la suite un traité.
Je suis d’accord avec toi que ce serait hautement improbable.
La notion de souveraineté que je retiens, c’est plutôt celle de notre indépendance, notre capacité d’élaborer nos propres politiques et d’être imperméables aux pressions externes. La zone d’influence du Canada est de plus en réduite à l’international, et les pressions de plus en plus fortes pour accroître nos dépenses militaires. La convoitise du Grand Nord n’est pas exagérée. Les sommes que les russes et les chinois y investissement semblent colossales.
La boutade de Trump, c’est de l’arrogance, une façon de se moquer de notre faiblesse. Une manière de nous indiquer qu’il peut nous obliger à faire ce qu’il veut. De l’intimidation.
Mais, je crois qu’il faut le prendre au sérieux. Du moins se poser des questions sur notre propre perméabilité vis-à-vis de telles intimidations.
Note : Les américains pourraient eux aussi offrir leur part de financement pour la frontière, si c’est ce qui les préoccupe vraiment, sans nous menacer d’imposer des tarifs. Jusqu’où cela peut-il aller ?
Bonsoir Louis,
Je voulais te répondre directement Louis mais je ne m’y retrouverai jamais dans le fonctionnement des réseaux sociaux. Je te réponds donc à travers ta réponse à Jean-Claude. à ce que je peux comprendre.
Dans une publication précédente, tu déplorais que Trump ne faisait qu’appliquer la Loi du plus fort. Tu dis maintenant qu’il faut le prendre au sérieux. Croyons plutôt en nos principes. Et puis, il ne s’agit que d’un géant aux pieds d’argile. Son programme électoral est en contradiction totale avec ses promesses. Ne faisons rien. Laissons-le vivre à plein son fantasme Tarif. Les Etats-Uniens nous ont déçus, mais on les sait pragmatiques. Laissons-les prendre une cours de science politique et économie 101. Laissons Trump imploser dans deux ans. Une récession n’est pas cher payée pour éventuellement affaiblir le Trumpisme à l’international. Je ne suis pas un fan béat fini de la démocratie (trop) libérale mais sa réforme en profondeur vaudrait mille fois mieux que les modèles autocratiques scandaleux actuellement en vitrine. Ne vendons pas notre âme pour un plat de lentilles. La « liberté » vaut mille emplois.
Noël
Factuellement, le Canada serait encore une quasi-colonie toujours centrée sur l’exportation des ressources. Les forces législatives et économiques qui le dominaient avant la Confédération sont toujours bien présentes, mais maintenant sous couverture. La cour suprême est depuis passée des juges et Lords de Londres à des légistes issus et indirectement nommés par exactement les mêmes grands intérêts financiers logés depuis la mondialisation, le rapatriement de la constitution et la fiscalité laxiste favorisant les paradis fiscaux. On ne peut donc observer les mêmes biais et des décisions bien similaires. Y aurait-il des alliances opportunistes avec des intérêts Américains ? Je crois bien que oui. Il y a aussi des divergences intéressées. Rappelons que le corridor du commerce et des ressources “multimodal” du cœur de l’Amérique ( au PIB équivalent de l’UE) est économiquement et stratégiquement “occupé” par des entreprises des deux pays ( majoritairement des USA, je crois même). L’Arctique et les eaux navigables des deux côtes est et ouest sont aussi ouvertes à des passages internationaux. Cela, je crois plus que tout autre pays.
Bonjour Louis,
Mon commentaire est un peu en lien avec ton article précédent sur l’imposition de tarifs douaniers suggéré par Trump.
Le nouveau président américain agit comme un ‘bully’ dans tout ce qu’il dit ou veut faire. Ainsi il cherche à impressionner et regarde ceux qui manifestent de la faiblesse pour les attaquer encore plus sournoisement.
Évidemment le Canada et le Québec sont des économies minuscules face à l’économie américaine. Si les récentes élections américaines ont montré la division du pays de l’oncle Sam, que penser de l’unité canadienne où les conflits provenant des régions font le plus souvent les manchettes quotidiennes?
Le Canada vu du Québec, est presque un pays voisin, auquel nous acceptons de payer 50% de nos impôts en échange de services!
La fête nationale du 1er juillet, c’est le temps ici au Québec des déménagements!
Mais nous avons de grandes richesses par nos vastes territoires et nous bénéficions des vastes marchés américains pour écouler nos marchandises et services à peu de frais, car nous sommes voisins. Voilà qui aide beaucoup nos industries et notre économie ! Nous obtenons ainsi une très bonne qualité de vie.
Ton article parle du Canada comme d’un pays pas vraiment uni.
Au Canada ce qui blesse l’unité du pays c’est bien l’absence d’une raison d’être commune et bien sentie de la part de ces habitants, et ce en particulier au Québec!
Il est peut-être grand temps de diversifier un peu nos clients vs ÉU d’une part et de régler nos différends entre le Canada et le Québec!
Ottawa devrait nous lâcher un peu sur les lois 21, 96, puis cesser d’envahir nos champs de compétences et nous laisser contrôler notre immigration car cela affecte beaucoup notre vouloir être propre: ce que nous voulons pour durer dans l’avenir. En torpillant notre idéal collectif au Québec depuis des décennies, c’est en même temps l’avenir de ce pays qui est torpillé par Ottawa.
Le Canada n’existerait pas si nos ancêtres ne l’avaient pas voulu jadis et il n’existera pas si nous ne voulons plus qu’il dure!
De notre côté au Québec, nous avons aussi des devoirs face à la fédération, pourvu que celle-ci reconnaisse que ce ne sont pas par des mensonges (rapatriement unilatéral) et des promesses creuses qu’on donne de l’espoir à un pays de vouloir durer. C’est en soutenant les peuples à la base de son existence, en bâtissant avec les espoirs naturels des gens qu’un pays suit son destin contre tous les ‘bullies’ de la terre!
Jean-Claude Bélanger-Cyr