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À QUI REVIENNENT LES REVENUS PUBLICITAIRES SUR L’INTERNET ?

Il y a peut-être près de 30 ans, pourtant pas si longtemps, on parlait des magnats de la presse écrite. Les Robert Maxwell, Conrad Black, Paul Desmarais et Pierre Péladeau d’une certaine époque sont devenus milliardaires grâce à la vente de publicité dans les journaux. L’industrie des médias, et particulièrement la presse écrite, florissait et était extrêmement lucrative.

Loin s’en faut, on ne peut plus maintenant parler de la prospérité de nos médias d’information. Après avoir été maintes fois revendus, fusionnés et consolidés, ceux-ci peinent même maintenant à payer leurs journalistes. Ce sont des multinationales américaines, comme Alphabet et Meta, par leurs applications Internet et les réseaux sociaux, tels que Google, Facebook et Instagram qui ont récupéré la plus grande part du marché publicitaire national et local.

L’enjeu est important et le problème n’est pas qu’économique. Il est aussi politique et social puisque les difficultés financières de nos médias traditionnels ont des conséquences sur la qualité des informations transmises au public et la santé de notre démocratie.

L’attitude protectionniste des gouvernements

Dernièrement, le gouvernement canadien a adopté le projet de loi c-18, Loi sur les nouvelles en ligne, qui oblige les plateformes telles que Google et Facebook à payer une redevance aux médias nationaux et locaux. La Loi est protectionniste et vise à aider financièrement la presse écrite canadienne.

Mis dans un contexte historique, soulignons qu’à l’instar de cette loi, le gouvernement canadien a toujours voulu protéger nos industries culturelles et les médias d’information. On a longtemps évoqué comme argument la petitesse des marchés canadien et québécois pour justifier l’interventionnisme de l’État et l’importance des médias d’information.

Sans protectionnisme, nous aurions été bouffés depuis longtemps par l’industrie américaine, avec tout ce que cela implique sur le plan social et politique. On dit souvent que les médias d’information sont le quatrième pouvoir d’une société, suite aux trois pouvoirs que sont le législatif, l’exécutif et le judiciaire. Ainsi donc, perdre ce quatrième pouvoir, serait comme perdre en partie sa souveraineté. Nous serions probablement tous devenus comme des américains (ce qui n’est pas nécessairement pas mauvais en soi).

Pour protéger sa culture, le Canada a mis en place de grandes institutions comme Téléfilm Canada, le Conseil de Radio Télédiffusion du Canada (CRTC), Radio-Canada. Il est intervenu lors de la négociation des ententes de libre-échange pour y inclure des clauses d’exceptions culturelles. Il a négocié des droits de rediffusion pour les transactions outre frontière.

Pour protéger les médias d’information, il a aussi, par l’intermédiaire du CRTC, permis la consolidation de l’industrie des médias, en autorisant les fusions, les acquisitions croisées de propriétés entre médias et entreprises de télécommunication. L’intervention du CRTC a résulté en d’immenses conglomérats de communication au Canada. Qu’on pense notamment à l’acquisition de TVA par Vidéotron, qui fût par la suite acquis par Québécor inc., qui était à l’époque une entreprise de presse.  Qu’on pense aussi à Bell média qui est aussi une division de Bell Canada, qui appartient au plus grand groupe de télécommunications au pays, BCE. Ses actifs comprennent le réseau de télévision CTV, des chaînes de télévision spécialisées, des stations de radio et des studios de production.

L’histoire récente

Ces grands conglomérats offrent de tout : téléphonie mobile, Internet, télévision, radio, presse écrite. Nul besoin de magasiner, tous les services de communication sont disponibles à tarifs réduits lorsqu’ils sont achetés sous la forme de bouquet de services. Cette stratégie qu’on attribue faussement à l’égide de la convergence technologique n’est en fait que de la concentration de propriété. C’est aussi ce qui fait que les propriétaires de nos grands journaux, au Canada et au Québec, sont aussi les propriétaires des quasi-monopoles des services d’accès à l’internet et de la téléphonie mobile. Ceux-ci sont parmi les segments les plus lucratifs du secteur des communications, à des tarifs parmi les plus élevés du monde.

Comment se fait-il que ces grands conglomérats ne peuvent plus payer leurs journalistes ? Certes, le glissement publicitaire vers les entreprises américaine peut créer un manque à gagner important, mais les raisons qui ont amené le CRTC à créer de tels conglomérats ne demeurent-elles pas liées à la possibilité d’inter financer des services traditionnels par le développement des nouveaux services comme l’accès internet ? Le but n’était-il pas justement de protéger nos industries culturelles et nos médias d’information ? Nos entreprises médias semblent vouloir avoir le beurre et l’argent du beurre et le gouvernement fédéral semble les appuyer dans leurs revendications.

Innovation et gratuité contre protectionnisme

En échange de la publicité qu’elles perçoivent, Alphabet et Meta offrent aussi gratuitement de nombreux services qui ne sont pas offerts par nos médias traditionnels. Combien de personnes au Canada et au Québec utilisent Google ou Bing gratuitement chaque jour ? Combien de personnes détiennent gratuitement un compte Facebook, communiquent avec Messenger ? Combien de personnes détiennent des adresses de courriels gratuitement comme Gmail, Hotmail etc. ? Combien de personnes regardent des vidéos sur You tube ?  Combien de personnes accepteraient de se priver de ces services en échange d’un meilleur accès à nos nouvelles locales par le net ?

En fait, les consommateurs acceptent de payer à prix cher l’accès à l’Internet parce que tous ces services sont gratuits : web, le courriel, les médias sociaux, vidéos, musique et même l’intelligence artificielle. Qu’adviendrait-il si nous devions les payer ? La demande pour les services d’accès sous contrôle de nos conglomérats diminuerait assurément, faute d’intérêts de la part des consommateurs. On se retrouve ainsi devant le dilemme de la poule et de l’œuf.

À l’échelle internationale, les conséquences de ce projet de loi risquent d’être considérables puisque si d’autres pays que l’Australie et le Canada emboîtent le pas. Alphabet et Meta pourraient revoir leurs modèles d’affaires basé sur la gratuité. Ces services tarifés deviendraient très chers pour les consommateurs.

Le gouvernement aurait peut-être mieux fait d’accroître les subventions ou de bonifier la fiscalité pour aider au développement de la presse écrite. Ou bien d’inciter les entreprises canadiennes de communication à faire leur part pour le financement de la presse écrite qui semble-t-il est si importante pour notre démocratie.

Louis Bellemare

Published inÉconomie canadienneÉconomie mondialeÉconomie québécoisefrançaisGénéralPolitique canadienneTechnologies

5 Comments

  1. Michel-Marie Bellemare Michel-Marie Bellemare

    Intéressant comme point de vue. On voit que c’est un domaine qui t’est familier.
    J’ai plus de misère avec ta remarque sur le moindre mal à nous assimiler totalement à la culture américaine, quelqu’en soit le coût associé à cette distinction.

    • Bonjour Michel-Marie,
      Merci pour le commentaire.
      Je me suis peut-être mal exprimé. Tout ce que j’ai voulu dire, c’est que
      sans intervention des gouvernements pour protéger notre culture et nos médias, nous serions tous un peu plus américain.
      Mais, je n’ai jamais dit qu’il y aurait un moindre mal à nous assimiler totalement à la culture américaine, quelqu’en soit le coût associé.

      salutations

  2. Jean-Claude Cloutier Jean-Claude Cloutier

    Très bon billet qui donne une vue d’ensemble du secteur des communications de masse et de son évolution sous l’effet d’internet.

    Trois commentaires:

    – les services de Meta et de Google ne sont pas vraiment gratuits puisque les abonnés leur fournissent des informations sur leur identité et leurs intérêts;
    -ces informations sur les abonnés permettent à Meta et Google d’offrir des services de marketing ciblés à leur clientèle d’affaires; pour cette raison, je doute que Meta et Google en viennent à tarifer leurs services; cela leur occasionnerait une perte d’abonnés et par le fait même une perte de valeur de ce qu’ils ont à offrir à leur clientèle;
    – je crois que la démocratie est déjà mal en point, si les citoyens ne s’informent que par le biais des réseaux sociaux; même si les journaux étaient gratuits (c’est le cas de La Presse + et du site de Radio-Canada), seraient-ils lus davantage?

    • Bonjour Jean-Claude,

      Merci pour tes commentaires.

      En réponse à tes points, je crois qu’il existe parfois une confusion lorsqu’on parle de services gratuits sur le net. Le gratuit
      représente un modèle d’affaires où sont échangés des services non tarifés pour de la publicité. Comme tu le dis, il n’y a jamais rien de gratuit comme tel. Sur ce point tu as raison.
      Au début de ma carrière, le gouvernement m’envoyait au comité technique de BBM à Toronto pour discuter de cotes d’écoute, la base de la vente de la publicité en télévision et en radio. À l’époque, on envoyait des cahiers d’écoute à remplir dans les foyers et tiraient des projections statistiques sur les données d’écoute. C’était une méthode très imprécise parce que les données étaient très peu segmentées. On sait depuis longtemps qu’en améliorant nos connaissances sur les profils socio-démographiques qu’on améliore le rendement publicitaire. Les tarifs médias (point d’exposition but, coût par mille, par exemple) étaient négociés auprès des annonceurs en fonction des cotes d’écoute. Un coût par mille à l’époque se négociait aux alentours de 40 $ du mille. Avec l’évolution de la technologie et la vente de la publicité sur google et Méta on parle d’un coût de 5 $ du mille. Pas surprenant que les annonceurs, aient choisi le Net plutôt que les médias traditionnels. Pas surprenant qu’il y ait un glissement des revenus publicitaires vers les plateformes web. Si en volume, Google et Meta ont récupéré de la publicité, cette récupération a été partielle en raison de la baisse des tarifs. C’est en réalité la technologie qui a permis d’abaisser ces tarifs. Nos annonceurs locaux en ont largement profité. Est-ce qu’on peut reprocher à Google et Meta d’avoir fait évoluer l’industrie ?

      Ces entreprises comme toutes les autres entreprises maximisent leurs profits en égalisant leurs revenus marginaux aux coûts marginaux. L’offre de services gratuits qui implique aussi un coût leur a permis d’accroître leurs revenus marginaux par de la vente de la publicité. Ce modèle d’affaires qui est innovant, et qui n’a jamais intéressé nos entreprises locales, leur a permis de diffuser leurs services à des milliards de personnes. À mon avis, il existe un risque que ces entreprises commencent à tarifer, si on leur impose une charge supplémentaire par des redevances sans compensation de revenus, en raison du déséquilibre que ça créerait entre revenus marginaux et coûts marginaux. Mais, c’est mon opinion.

      Pour leur part, nos entreprises de communications au Canada, n’ont jamais été des entreprises innovantes. On y fait très peu de R&D. Videotron n’a pas inventé l’Internet ni les médias sociaux et Bell n’a pas inventé la téléphonie mobile, même si ces secteurs leurs sont très lucratifs aujourd’hui. Leur modèle d’affaires, c’est d’attendre que la technologie se développent ailleurs et de l’adopter par la suite, tout en faisant pression sur les gouvernements pour réglementer l’industrie dans le but de protéger leur marché. En encourageant ce comportement, à mon avis, on désincite l’innovation. Au Canada, il n’y a pas de destruction créative comme dirait Schumpeter. Si, on avait toujours pris le parti de ces entreprises, on en serait encore aux cahiers d’écoute de BBM.

      Sur ton dernier point, je crois qu’on a tendance à dénigrer l’information qu’on retrouve l’Internet au profit des nouvelles des journaux locaux qui ne sont pas nécessairement meilleures. Sur le net on y trouve du bon et du mauvais, mais au moins, on laisse le consommateur choisir. Mais je suis pas toujours certains que les journaux locaux diffusent toujours de la bonne nouvelle, ou du moins de la vraie nouvelle. Parfois, certaines chroniques ne sont que de la propagande et de la démagogie. À l’époque de Maurice Duplessis, il n’y avait que des journaux et nous n’étions pas plus démocratiques.

      Mais c’est, bien sûr, mon opinion.

      • Jean-Claude Cloutier Jean-Claude Cloutier

        Merci pour ces précisions et ces réflexions. Je suis bien d’accord sur certains points, moins sur d’autres, mais cela serait trop long d’élaborer davantage. Et je manque d’informations sur des aspects essentiels du débat, dont celui de l’importance réelle des réseaux sociaux pour l’information des citoyens sur les nouvelles d’intérêt local, national et international. Je comprends en ce qui a trait à Twitter (je n’ai pas encore consulté Threads), mais Facebook et Google ??

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