Le dévoilement du coût de construction d’un nouveau pont de l’île d’Orléans en a surpris plusieurs. Ce projet coûtera 2,759 milliards $ et sera entièrement financé par le gouvernement du Québec.
Ces coûts incluent le contrat de conception-construction de 1 856 milliards $, les honoraires pour la planification et le suivi du projet, une réserve pour les risques, les frais généraux et les frais de financement qui seront assumés par le ministère des transports du Québec, c’est-à-dire le gouvernement du Québec. Ils incluent aussi toute une série d’activités connexes, notamment, des travaux d’aménagement des accès routiers et de démolition du point actuel.1
Rappelons que lors d’une annonce des nouveaux échéanciers du projet en octobre 2020, le ministre des Transports de la CAQ, M. François Bonnardel, s’était abstenu de préciser les estimations de coûts, se bornant à dire qu’ils seraient de plusieurs centaines de millions $. 2C’est ainsi qu’aujourd’hui nous ne disposons d’aucune base de comparaison pour expliquer la progression des coûts, même si le contrat pour sa réalisation a déjà été signé. Il y a de quoi surprendre !
Par ailleurs, on s’explique difficilement la dépense pour un pont qui ne desservira qu’une population de 8 000 habitants vivant sur l’île et des visiteurs saisonniers, particulièrement dans un contexte où plusieurs projets importants de la région de Québec comme le tramway et le troisième lien, destinés à l’ensemble des citoyens de la région, ont été refoulés et remis sur la table à dessin en raison de l’importance de leurs coûts.
Suivi des directives ministérielles
Pour analyser ce projet, il peut être opportun de référer à la Politique cadre sur la gouvernance des grands travaux d’infrastructure publique 3qui vise à encadrer le processus de gestion des grands travaux inscrits au Plan Québécois d’Infrastructure (PQI). Elle prévoit trois étapes requises pour la planification d’un grand projet avant l’élaboration du modèle financier :
- Étape 1 : Élaboration du dossier de présentation stratégique;
- Étape 2 : Élaboration du dossier d’affaires initial;
- Étape 3 : Élaboration du dossier d’affaires final.
Il est intéressant de s’attarder attentivement aux directives prévues dans le premier dossier, celui qui est stratégique et qui m’apparaît être le plus important. On constate que plusieurs critères ne semblent pas avoir été respectés, notamment en ce qui concerne les deux premiers points qui commandent les études suivantes :
- la description et la justification du besoin et des résultats recherchés…L’étude (qui devra être réalisée) montre clairement les liens entre le besoin exprimé, les priorités gouvernementales, les objectifs stratégiques et les priorités régionales de l’organisme public
- la détermination préliminaire des options et l’indication de la plus vraisemblable, ainsi qu’un ordre de grandeur du coût en immobilisation du projet. Cette étude fait état, de façon préliminaire, des options qui, a priori, semblent les plus vraisemblables pour répondre au besoin et précise leurs avantages et inconvénients. Elle indique l’option qui semble la plus plausible ainsi qu’un ordre de grandeur du coût en immobilisation du projet.
Ces directives suscitent plusieurs questionnements quant au projet. On peut effectivement se demander s’il répond impérativement aux besoins de transport les plus importants dans la région de Québec ainsi qu’aux priorités gouvernementales et régionales, étant donné que d’autres projets plus structurants ont été mis sur la glace. Le pont de l’île accueille 12 000 véhicules par jour et 15 000 pendant la saison estivale.
On peut aussi se demander ici si le scénario de construction d’un nouveau pont représentait l’option optimale et s’il n’y aurait pas eu d’autres solutions que de construire un pont à 2,7 milliards $.
En ce qui concerne l’ordre de grandeur du projet, c’est-à-dire des estimés préliminaires des coûts du projet, comme il a été mentionné plus haut, ils n’ont jamais été révélés à l’étape de la production du dossier stratégique. Ceci a eu pour conséquence de mettre la population dans une situation de fait accompli.
Quelles sont donc ces options qui auraient dû être analysées ?
Voici trois scénarios qui auraient pu être analysés dans le cadre de la politique gouvernementale en assumant que le projet de construction d’un pont à 2,7 milliards $ représente un projet de référence.
Scénario 1 : le maintien de l’infrastructure existante
L’une des raisons évoquées par la ministre des transports et de la mobilité durable, madame Geneviève Guilbault, est que l’infrastructure actuelle a atteint sa durée de vie utile.
La notion de vie utile ne se réfère pas nécessairement à l’impossibilité d’utiliser le pont encore pendant plusieurs années, puisque la technologie actuelle permet en effet d’effectuer des réparations et de le maintenir en état d’utilisation pendant plusieurs années. Elle se réfère plutôt au calcul économique permettant de comparer les coûts annuels de maintien d’actif de l’ouvrage existant par rapport aux coûts de construction d’une nouvelle infrastructure.
Le principe est le suivant. Puisque, les coûts annuels de maintenance augmentent au fur et à mesure du vieillissement des infrastructures, il y aura, sur une longue période, une égalité des valeurs entre la valeur finale des coûts de maintenance de l’ancien pont à celle des coûts de construction d’un nouveau pont. C’est à ce point d’équivalence qu’est déterminée la durée de vie utile de l’infrastructure existante.
Ainsi une valeur de 2,759 milliards $ est équivalente à une annuité de 158,3 millions $ sur période de 50 ans et de 140,8 millions sur 80 ans destinés au maintien d’actif. Or, ces sommes sont extraordinairement élevées pour l’entretien du pont. Ces calculs réfuteraient l’argumentation de la ministre.
Mentionnons de plus que le maintien du pont existant permettrait des économies substantielles en évitant les coûts de démolition de l’ancien pont et l’aménagement de nouvelles voies d’accès pour le nouveau pont. À cela d’autres types d’économies seraient aussi réalisables, notamment en évitant des frais de conception, de gestion de supervision de la construction, la mise en place d’équipements d’alimentation électrique, d’éclairage, de systèmes de transport intelligents et de télécommunications.
La ministre aurait pu ainsi décider d’assumer les coûts de maintenance du pont actuel pendant encore plusieurs années. Ce scénario aurait été tout-à-fait envisageable.
Scénario 2 : la phase 1 d’un troisième lien entre Québec et Lévis
Il a été évoqué que la construction d’un nouveau pont pourrait aussi constituer une phase du projet de troisième lien entre Québec et la rive sud de Québec. Ceci pourrait justifier le coût élevé de construction du nouveau pont. Mais, ce scénario ne serait valable que si les phases subséquentes du troisième lien se réalisent réellement et que les capacités de transport soient en cohérence avec le pont nouveau de l’île d’Orléans.
On pourrait alors se demander pourquoi la ministre n’a pas attendu les recommandations du rapport commandé à la Caisse de dépôt et de placement du Québec et qui seront révélées en juin prochain, avant de divulguer les coûts du projet du pont de l’île d’Orléans. On sait que ces recommandations porteront sur le développement d’une vision globale et cohérente du transport dans la région de Québec.
Ainsi, la nature d’une construction provenant de la rive sud pourrait être bien différente de ce qui est prévu pour le pont de l’île, tant en ce qui a trait aux capacités qu’à la nature des liens modaux.
Par exemple, il a été suggéré par le Parti Québécois (PQ) de limiter le troisième lien au transport en commun, tandis que le nouveau de l’île comptera une voie carrossable de circulation par direction, qui sera dotée d’accotements larges, d’une piste polyvalente de part et d’autre des voies de circulation, ainsi que de belvédères pour les adeptes du transport actif. Rien ne semble avoir été prévu pour le transport en commun dans le projet de construction du nouveau pont de l’île.
Par ailleurs le développement de liens autoroutiers pour le troisième lien, soit par un tunnel ou d’autres moyens n’aurait d’autre effet que d’engendrer un goulot d’étranglement et de la congestion sur le pont de l’île qui serait d’une capacité bien moindre.
Pour ces raisons, il semble peu probable que ce scénario se réalise.
Scénario 3 : un lien traversier au lieu d’un pont
Advenant le cas où le pont actuel devrait être démoli, il serait possible d’offrir un service de traversier entre Québec et l’île d’Orléans. Cette hypothèse est d’autant plausible que l’éventualité d’un troisième lien entre Québec et Lévis rendra le service de la traverse actuelle entre Québec et Lévis complètement caduc.
Le budget de la traverse actuelle pourrait être utilisé et permettrait des économies substantielles. À titre indicatif, les revenus de la traverse Québec-Lévis s’établissaient à 27,2 millions $ avant la participation gouvernementale en 2022-2023 selon le rapport annuel de gestion de la société. 4Par ailleurs, on peut estimer la participation gouvernementale à 36 millions $ (déterminée au prorata des revenus sur l’ensemble), ce qui portent les revenus totaux à 63,2 millions $.
En reprenant le même genre de calculs que dans le premier scénario, la valeur finale d’un projet de service de traversier s’établirait 1,15 milliards $ sur 50 ans et de 1,2 milliards $ sur 80 ans, soit des économies de quelque 1,6 milliards $ par rapport à la construction d’un nouveau pont.
Évidemment, à cela, il faudrait ajouter des coûts de maintenance pour le pont actuel jusqu’à ce que le troisième lien soit opérationnel, ce qui peut prendre plusieurs années. Il faudrait y ajouter des frais d’aménagements des quais, la construction de bâtiments et des accès routiers à l’île d’Orléans. Mais, puisque les dépenses d’exploitation sont actuellement entièrement assumées par la Société des traversiers, seuls les frais de maintenance du pont et d’investissements en infrastructures sur l’île ne seraient considérés.
Il s’agit du scénario qui serait le plus économique.
Conclusion
Ce texte présente quelques exemples de scénarios qui auraient pu être élaborés dans l’élaboration d’un dossier de présentation stratégique du projet du pont de construction d’un nouveau pont de l’île-d’Orléans. L’importance des coûts, soit de 2,7 milliards $, l’absence de scénarios et la non divulgation des estimés initiaux qui mettent la population dans une situation de fait accompli, indiquent un manque de transparence dans la gestion de ce dossier.
Louis Bellemare
Belle analyse . La modération et le réalisme semblent avoir fait défaut aux responsables de ce projet . Bien sûr s’il y avait véritablement un responsable ? Je crois qu’il y avait un concours de gonflage d’égo entre politiciens, architectes , et bien plus. Des options terre-à-terre plusieurs existaient, on a choisi tout ce qui favorisait l’image . Je ne suis pas urbaniste, mais le problème d’étroitesse et de sur-achalandage périodique de la route faisant le tour de l’Ile sera exacerbé avec le projet milliardaire . Mon choix serait de plutôt faire deux jetées faites d’enrochement et deux séries de petits ponts d’acier standards et préfabriqués. Cela avec un à Ste famille face à la route du mi-temps et l’autre juste à côté de celui existant ou directement dans ses emprises . Cette façon plus respectueuse de nos finances de faire et permettrait de préserver la quiétude de l’Ile et éviterait la réfection de la route ancestrale et les contournements des villages qu’il faut préserver .
Très bonne analyse. Étonnant que le gouvernement n’ait pas attendu l’étude de la CDPQ afin de. disposer d’une vision globale du trnsport régional.
Très bonne analyse. C’est assez ahurissant qu’on se retrouve d’un seul coup devant le fait accompli du contrat déjà signé.
On revient souvent sur l’argument de “seulement 8 000 résidents”. N’oublions pas toutes les productions agricoles de l’Île, qui pour la plupart nourrissent directement la population, et non des animaux d’élevage industriel comme ailleurs au Québec. Le seul comparable, boîteux, me semble l’Île Perrot (40 000 habitants), avec ses vergers, que traverse l’autoroute 20. Comme fermer l’Île d’Orléans et instaurer un traversier payant ne me semblent pas envisageables, il restait à mon avis deux options intéressantes:
1. Faire passer le troisième lien par l’Île d’Orléans. Cela aurait aussi donné un accès rapide à l’Île aux résidents de la rive-sud, et un accès rapide à la rive-sud pour les résidents et les produits agricoles de l’Île. Jean-François Lisée propose de faire une “autoroute creusée” sur l’Île, avec des serres sur le dessus, et ainsi le paysage est préservé.
2. Installer un traversier maritime gratuit en remplacement du pont actuel.
Dans ce dernier cas, la démolition du pont actuel ne serait pas nécessaire, en le transformant en parc linéaire et voies réservées aux piétons, coureurs, cyclistes et autres véhicules de moins 500kg. Vitesse maximale 20 km/h (avis aux cyclistes).
Très bonnes remarques