Le prix de l’immobilier ne cesse d’augmenter, laissant en plan plusieurs foyers qui éprouvent des difficultés à se loger. On aurait pu espérer que la hausse des taux d’intérêt que nous avons subie depuis près de deux ans ait eu pour effet de faire baisser substantiellement les prix du logement. Mais ceci ne semble pas être le cas. Quels sont alors les véritables déterminants du prix du logement ?
Le texte qui suit présente deux tendances qui s’opposent. L’une porte sur l’impact des taux d’intérêt sur le prix de l’immobilier. L’autre tend à démontrer que la forte immigration au Canada a contribué à maintenir des prix élevés et qu’elle est venue limiter l’impact de la hausse des taux d’intérêt sur le prix du logement.
Deux perspectives
L’impact des taux d’intérêt
En analysant la période de l’après-pandémie, on observe que les taux directeurs se sont accrus de façon très rapide. De 2022 à 2023, ils ont été multipliés par dix passant de ,5 % à 5 %, comme l’illustre le graphique ci-dessous.
Par contre, les prix des habitations n’ont pas beaucoup diminué et ont même augmenté dans certaines régions, alors qu’on aurait pu prévoir une baisse plus importante en raison de la hausse des taux d’intérêt.
On peut présumer que la hausse des taux directeurs a été si rapide en 2022 et 2023 qu’elle n’aurait pas eu encore le temps d’agir suffisamment pour faire baisser les prix de façon substantielle.
Notons que la société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), estimait au début de 2024 qu’environ 2,2 millions d’hypothèques allaient être renouvelées au cours des deux prochaines années, soit presque la moitié de toutes les hypothèques présentement en vigueur au Canada. [1]
Or, lors du renouvellement de ces hypothèques, les taux demeureront supérieurs à ceux de la pandémie, en considérant même les baisses annoncées récemment par la Banque du Canada. On estime que les versements moyens augmenteront de 30% à 40%. Plusieurs propriétés se retrouveront sur le marché avec potentiellement des baisses de prix.
Une hausse continue des prix de l’habitation
L’autre perspective laisse envisager une hausse soutenue du prix de l’habitation. À long terme, la part des dépenses des loyers deviendrait de plus en plus importante dans le budget des foyers. Cette hypothèse présage un problème d’accession à la propriété pour les plus jeunes ainsi qu’une refonte de la nature du parc d’habitation, notamment en raison des coûts élevés de construction.
Ce sont plutôt des facteurs comme la croissance de la population immigrante et la structure démographique qui auraient contribué à pousser à la hausse les prix de l’habitation. Alors qu’on aurait pu penser que les marchés de plus grande taille comme Toronto ou Montréal offrent les prix les plus élevés, ce sont plutôt les marchés où il y a une plus forte croissance de l’immigration qui comportent les prix les plus élevés.
Comment expliquer cette situation ? La croissance de la population immigrante n’est pas assujettie à des limitations de capacités comme celles d’une population qui croît naturellement par des naissances. L’ouverture des frontières permet en théorie de faire accroître une population à des taux bien supérieurs à celui d’un taux de croissance naturelle. Dans un tel contexte d’immigration massive, des tensions importantes sont effectuées sur l’offre d’habitation par rapport à un marché de croissance naturelle. C’est justement ce qui aurait fait exploser les prix à Toronto et à Vancouver.
Le tableau qui figure ci-dessous tend à confirmer cette situation en associant la croissance de l’immigration dans certaines régions au prix du logement. La proportion d’immigrants dans la région métropolitaine de recensement de Toronto s’établissait à 47 % en 2021 (dernière donnée disponible), ce qui indique une très forte progression de l’immigration depuis les 20 dernières années, soit 2,86 millions d’immigrants, alors que le prix moyen de l’agrégat était de 1 180 400 dollars. Cette proportion était de 42 % à Vancouver, soit 1,089 millions d’immigrants, alors que le prix moyen de l’agrégat s’établissait à 1 274 400 dollars.
On constate que les prix semblent déterminés en fonction de la proportion de personnes déclarées immigrantes dans une RMR, et non en fonction de la taille de la population. Le prix moyen à Vancouver est même supérieur à celui de Toronto même si sa population est plus de deux fois plus petite. Le prix à Montréal est moins de la moitié de celui de Vancouver, même si la population est presque deux fois plus importante,
Par ailleurs, dans les RMR de Montréal et de Québec où les prix des habitations sont beaucoup plus faibles, soit de 580 800 dollars et 350 500 dollars, la proportion des individus déclarés comme immigrants était beaucoup plus faible, soit de 24,3 % et de 6,7 % respectivement.
Population | Proportion du nombre d’immigrants en 2021 | Croissance démographique de 2019 à 2023 | Prix de l'agrégat 2ie trimestre | |
Canada | 40 097 761 | 23,0% | 7,1% | 809 200 $ |
Québec | 8 848 020 | 14,6% | 4,4% | 465 753 $ |
Québec (RMR) | 880 875 | 6,7% | 5,8% | 350 500 $ |
Montreal (RMR) | 4 502 177 | 24,3% | 4,0% | 581 800 $ |
Toronto (RMR) | 6 804 847 | 46,6% | 5,9% | 1 180 400 $ |
Vancouver (RMR) | 2 971 853 | 41,8% | 9,4% | 1 274 400 $ |
- Notes : Statut d’immigrant et période d’immigration selon la langue maternelle : Canada, provinces et territoires, régions métropolitaines de recensement et agglomérations de recensement y compris les parties
- Estimations démographiques annuelles, divisions de recensement : tableau de bord interactif
- Estimations démographiques annuelles, régions métropolitaines de recensement et agglomérations de recensement : tableau de bord interactif
- Étude sur le prix des maisons, Royal Lepage
Impact des prix élevés du logement
Les prix élevés du logement ont des conséquences sur l’organisation sociale à plusieurs niveaux. Au niveau de la famille, les gouvernements doivent encourager la construction ou le réaménagement d’habitations intergénérationnelles dans le but d’assurer une plus grande source de revenus pour le financement des propriétés. L’espace habité sera aussi sensiblement réduit, conformément aux objectifs d’urbanisme de densification, mais aussi en raison de la diminution de la taille des familles et du prix d’acquisition d’une propriété. Par ailleurs, le prix élevé de l’habitation pourrait aussi compromettre la capacité des jeunes générations à devenir propriétaire et à financer leur retraite.
La SCHL estime que le Canada devra construire 3,5 millions de logements en plus de ceux déjà en construction 2030 pour rendre le logement abordable, ce qui représente la construction de 5,8 millions d’unités. [2]
À cet égard, des programmes ont été mis en place pour réponde à la forte demande, tels que le programme pour la construction accessoire, l’augmentation du plafond des assurés, la possibilité d’amortir une propriété sur 30 ans. Toutefois ces programmes sont jugés insuffisants, puisqu’ils n’apporteraient que 70 000 nouvelles constructions en plus des 235 000 amorcées en l’absence de ces mesures. Un rapport publié dernièrement par Desjardins indique qu’il aura fallu trois décennies pour construire 5,8 millions des dernières unités d’habitation au Canada. [3]
Les gouvernements n’ont donc pas le choix d’intervenir au niveau de la demande en réduisant les cibles d’immigration, ce qui devrait avoir pour effet de diminuer la pression sur les prix. (cf mon article intitulé Il faut revoir les cibles d’immigration canadiennes Toutefois, encore ici, il faudra attendre encore de nombreuses années avant que le marché puisse se rééquilibrer et rendre le plus logement abordable.
Conclusion
Au Canada, la hausse du prix de l’habitation s’explique par l’immigration massive qui a eu lieu au cours des dernières années et, dans une moindre mesure, par la baisse des taux d’intérêt.
On s’aperçoit que la politique d’immigration comporte des coûts associés élevés, notamment par son impact sur le prix du logement. Elle a contribué à diminuer l’efficacité de la politique monétaire qui a pour objet de contenir les pressions inflationnistes sur le prix de l’habitation. La hausse des prix se répercute sur le montant des hypothèques à payer et les frais d’intérêt.
Elle contribue aussi à diminuer l’accessibilité et compromet le financement de la retraite pour plusieurs personnes.
À long terme, le maintien des prix élevé de l’habitation aura un impact sur l’organisation sociale, la construction de certains types d’habitation et l’aménagement du territoire urbain.
Louis Bellemare
[1] Hypothèque à renouveler ? Découvrez notre calculateur hypothécaire février 2014, Radio-Canada
[2] Le Canada a besoin de 22 millions de logements d’ici 2030, estime la SCHL, Radio-Canada
[3] Le plan fédéral en matière de construction de logements sera confronté à des embûches, La Presse
Bonjour Louis,
Tu as certainement raison de souligner l’influence des taux d’intérêt et de l’immigration dans ce qu’il est convenu d’appeler la crise du logement. J’ai cependant quelques commentaires à apporter en regard de ce dossier.
D’abord, ton billet semble porter exclusivement sur l’abordabilité des maisons. C’est un aspect important de la crise du logement, mais il y a aussi le coût (le loyer) des logements locatifs. Je crois qu’il est difficile d’analyser séparément ces deux marchés. En vertu de l’élasticité de substitution, les prix dans ces deux marchés doivent évoluer en parallèle.
Le taux d’intérêt a un effet mitigé sur le marché des maisons et ce, de deux façons :
• La hausse des taux réduit la capacité des acheteurs, mais aussi celle des promoteurs devant financer des nouvelles constructions. En d’autres termes, une hausse du taux réduit à la fois la demande (pression à la baisse sur les prix) et l’offre (pression à la hausse sur les prix).
• Il est possible que la réduction de la demande incite les vendeurs à baisser les prix demandés; les acheteurs peuvent alors profiter de mensualités hypothécaires qui demeurent abordables, la hausse du taux d’intérêt étant compensée par la baisse du montant emprunté.
Bref, l’effet net d’une hausse des taux d’intérêt est difficile à prévoir.
D’autres facteurs ont été invoqués pour expliquer la crise du logement. Il est vrai que l’immigration semble faire consensus en tant que facteur aggravant, mais on a aussi invoqué la réglementation qui fait en sorte de rendre la construction de nouveaux logements peu attrayante. La densité d’occupation du territoire semble aussi jouer si on juge d’après les données du recensement de 2021. On y note les densités démographique suivante par km2 : Vancouver (18 837), Toronto (11 608), Montréal (8 367), Québec (5 673), moyenne des RMR au Canada (5 385).
Pour ma part, je comprends difficilement pourquoi les promoteurs n’ont pas développé l’offre puisqu’il était évident qu’il y avait une forte demande de loyers et de maisons. Mon hypothèse est qu’ils avaient le sentiment qu’une bonne partie des ménages n’étaient pas prêts à payer plus que les loyers en vigueur dans le logement social et que c’est un segment du marché qui n’est pas rentable pour le secteur privé. Est-il souhaitable, comme semble le souhaiter une partie de l’opinion publique, que le logement devienne un programme social au même titre que la santé, l’éducation, les rentes et l’assistance sociale?
Salutations.
Bonjour Jean-Claude,
Merci pour tes commentaires. effectivement mon analyse est restrictive. Mais la corrélation est telle entre la croissance de l’immigration et le prix de maisons, que je ne pouvais faire autrement qu’en parler. C’est devenue presqu’invivable Toronto et Vancouver. Évidemment, il y a d’autre facteurs, mais je crois que l’immigration est le plus important. La région de Québec est l’une des régions où la croissance de l’immigration a été la plus importante depuis quelques années. Les prix n’ont pas diminué mais augmenté de 10 % en un an. Je ne voudrais pas que Québec devienne comme Toronto ou Vancouver.
Noel Pellerin a laissé un commentaire
Si je réunis ta publication Louis et le commentaire de Jean-Claude, je vois une équation où le prix du logement est en fonction négative du taux d’intérêt et de la réglementation (logement social) et en fonction positive de la densité de population et de l’immigration.
Intéressant mais seul me semble-t-il une analyse de régression pourrait déterminer le pourcentage d’explication de chacune de ces variables et nous guider éventuellement vers des variables omises. Des données chronologiques (complétées de dummies) existent ou peuvent-être utilisés pour toutes ces variables explicatives. Des délais d’impacts pourraient être introduits dans l’équation.
Les outils de l’analyse de régression sont maintenant plus faciles à utiliser qu’à l’époque, avec l’avènement de l’IA notamment. Je ne comprends pas pourquoi les spécialistes de divers domaines (logement, immigration, etc.) ne l’utilisent pas davantage. Je dis cela et il y a longtemps que je n’y ai pas eu recours. Il faudrait que je m’y remette.
Un bon calcul vaut mille mots comme j’aime bien dire. Salutations.
Merci pour le commentaire. Pour ce qui est de la régfession j’ai toutes les données mais c’est quand mėme un peu d’ouvrage.
Bonjku ca va bien