Le projet Northvolt
Le Québec n’a jamais vraiment réussi à développer sa filière automobile contrairement à notre voisin ontarien qui profite d’un accès privilégié au marché américain. Québec pourrait, toutefois, détenir des atouts intéressants pour le développement de certaines composantes de cette filière, notamment celle la production et du recyclage des batteries d’automobiles.
C’est dans cet optique que fût annoncé le 28 septembre dernier le plus gros investissement manufacturier jamais réalisé au Québec.[1] Les gouvernements du Canada et du Québec offriront des contributions financières à hauteur de 4,4 milliards $ à NorthVolt, une jeune pousse suédoise, pour l’implantation d’une usine de batteries en Montérégie dans le sud de Montréal. Le projet estimé à 7 milliards $ créerait 3 000 emplois. Les contributions gouvernementales s’établiraient donc à quelque 1,5 millions $ par emploi.
Selon le co-fondateur de NorthVolt, monsieur Paolo Cerruti, l’énergie renouvelable, l’accès aux matières premières ainsi qu’un bassin de talents de calibre mondial favoriseraient le Québec. La présence d’une énergie complètement décarbonisée permettrait d’assurer le véritable virage vers une transition pour une économie verte, ce qui expliquerait l’intérêt que porte Northvolt pour le Québec.[2]
Les subventions ne devraient jamais être notre principal avantage comparatif
Les incitatifs offerts pour la production par les gouvernements canadien et québécois ont été calqués sur l’Inflation Reduction Act des États-Unis qui est extrêmement généreux (350 milliards $). Selon Pierre Fitzgibbon, ministre de l’économie du Québec, ce projet risquait de s’en aller aux États-Unis sans ces aides financières des gouvernements canadien et québécois.
Dans un contexte, où nous détenons tous les atouts pour recevoir un tel projet, comme l’a mentionné monsieur Cerruti, on peut s’interroger sur la nécessité d’offrir autant d’argent. Il serait de l’intérêt de chaque pays que les décisions d’investissements soient déterminées par les avantages comparatifs naturels sans intervention des pouvoirs publics.
Mais, la réalité diffère de cette vision classique de l’échange international. Les subventions font l’objet de surenchères partout dans le monde pour attirer des entreprises et en particulier aux États-Unis. Elles sont souvent démesurées et s’établissent souvent bien au-delà de ce qui serait nécessaire afin d’assurer la rentabilité d’un projet. En fait, ce n’est pas Cerruti le coupable, mais nos politiciens qui mettent en valeur ‘la théorie des choix publics’, une théorie économique selon laquelle les hommes politiques se comportent en fonction de leurs propres intérêts, notamment dans le but de maximiser leurs chances d’être élus ou réélus.[3]
Cette surenchère coûte cher : selon L’OCDE, le montant total des aides versées pour attirer des investissements s’établissait à plus d’un billion de dollars, soit plus de mille milliards de dollars dont les deux tiers proviennent des pays membres de l’OCDE, soit les pays les plus avancés sur le plan économique.
Comment devrait-on déterminer la hauteur des subventions ?
Mais, mis à part la surenchère, il demeure légitime d’établir la valeur des subventions d’un projet en fonction des bénéfices sociaux que ce projet apporte pour notre société.[4] Les exemples sont nombreux. Dans le domaine des transports, les analyses coûts/bénéfices tiendront compte de la valeur tu temps économisé par les usagers pour déterminer la rentabilité sociale d’un projet. La construction d’un nouveau parc public aura un impact positif sur la qualité de vie des résidents. La production des énergies vertes crée des externalités positives en réduisant les émissions de gaz à effet de serre et en préservant les ressources naturelles.
Ces bénéfices ou ces coûts sociaux se produisent lorsque l’activité d’un agent économique entraîne des bénéfices ou des coûts pour d’autres agents économiques, sans qu’une transaction ne se produise entre eux.
Les critères décisionnels liés aux aides financières peuvent donc être établis en fonction de l’analyse des coûts et des bénéfices sociaux associés au projet, selon ce concept des externalités.[5]
Qu’en est-il des coûts et des bénéfices sociaux du projet de Northvolt ?
La quantification des bénéfices sociaux d’un projet est une tâche qui dépasse la portée de ce billet. Toutefois, certaines comparaisons avec d’autres projets dont les coûts sont similaires peuvent donner des indications.
D’emblée, le principal bénéfice social ne peut être la création des 3 000 emplois, puisque celle-ci implique une relation transactionnelle entre plusieurs agents. Par ailleurs, en comparaison à ces chiffres, mentionnons que pour le seul mois de septembre 2023, selon l’enquête mensuelle sur la population active de Statistique Canada, l’emploi au Québec a progressé de 39 000, établissant le taux de chômage à 4,4 %.[6] Ce résultat est donc disproportionné par rapport aux emplois créés par le projet. Vu sous l’angle de la création d’emplois, les 4,4 milliards $ d’investissements publics ne peuvent aucunement se justifier.
Par ailleurs, dans un contexte de contraintes budgétaires, il serait aussi judicieux de comparer les bénéfices du projet à ceux que pourraient apporter d’autres projets, comme par exemple, le troisième lien à Québec, le projet de tramway ou des projets de construction de logements à prix modiques, l’aide aux personnes itinérantes, les investissements en santé et en projets d’écoles qui semblent avoir des impacts beaucoup plus importants. [7]Ainsi donc, si les gouvernements accordent des aides financières à Northvolt, ils devraient se justifier de ne pas offrir d’aide financière pour ces autres projets.
Reste à évaluer la synergie que le projet pourrait apporter pour la création d’une nouvelle filière dans le domaine des batteries.[8] À cet égard, le premier ministre du Québec, François Legault, a comparé le projet de Northvolt à celui de la Baie James de Robert Bourassa. Mais, on semble encore loin du compte lorsqu’on considère l’impact qu’ont eu, non pas la construction des barrages, mais les tarifs d’électricité parmi les plus bas au monde sur la société québécoise et le développement économique. On se demande comment une usine de batterie pourrait avoir un impact aussi considérable sur notre société.
Finalement, le projet demeure exposé à un ensemble des risques de toutes sortes qui viendraient compromettre les bénéfices. Par exemples des risques de construction entraînant des surcoûts et des délais, des risques financiers en raison du fait que Northvolt est une très jeune entreprise,[9] [10]des risques de concurrence par rapport à l’industrie asiatique qui a une bonne longueur d’avance,[11] mais aussi par rapport à l’industrie ontarienne qui reçoit des investissements massifs dans le secteur de l’automobile, le risque d’une relocation de l’usine, le risque technologique en raison de l’évolution rapide de la technologie dans ce domaine.
Analyse de coûts directs et indirects
En ce qui concerne les coûts directs, la contribution financière de Northvolt n’est pas très claire. Tout au plus, mentionne-t-on qu’il s’agit d’un projet de 7 milliards $ incluant à la fois une phase 1 et 2.[12] Si Québec et Ottawa injectent dans ce projet 4,4 milliards $ dès la première phase, on pourrait supposer que les gouvernements financent 100% de la phase 1.
Par ailleurs, mentionnons que la construction de l’usine dans un délai aussi rapide engendrera des perturbations importantes sur les localités environnantes. [13]Outre l’espace qu’occupera l’usine, il faudra aussi considérer que l’embauche des 3 000 employés aura un impact non négligeable sur la nécessité de construire des infrastructures publiques (ex. aqueducs et égoûts), la demande de logements, sur les prix des habitations et sur la demande de services éducatifs et de santé.
Dans ces deux derniers cas, ces coûts sont des investissements publics qui devront être assumés par le gouvernement et qui se rajouteront aux aides investis par les gouvernements.
Conclusion
Il semble que les aides consenties à Northvolt soient disproportionnées et difficilement conciliables avec les bénéfices qu’auraient engendré d’autres projets tout aussi importants pour notre société, comme par exemple le troisième lien ou le tramway au Québec.
Les bénéfices espérés du projet pourraient par ailleurs s’estomper en raison des risques inhérents à cette industrie, comme par exemple la concurrence asiatique, l’évolution des technologies des batteries, les risques financiers.
Du côté des coûts pour les gouvernements, ils seront vraisemblablement plus importants que ceux qui sont annoncés, notamment pour la réalisation de la phase deux du projet, mais aussi pour la construction d’infrastructures de services pour les 3 000 nouveaux emplois qui travailleront dans cette usine.
Cette analyse ne remet pas en question ce projet qui aura certainement un impact structurant d’envergure pour le Québec, mais questionne l’aide consentie par les gouvernements qui semble exagérée.
Le gouvernement du Québec devrait toutefois réaliser un BAPE sur ce projet puisqu’il en est lui-même partie prenante.
Louis Bellemare
ANNEXE
CONTRIBUTION FINANCIÈRE DES GOUVERNEMENTS DU CANADA ET DU QUÉBEC AU PROJET NORTHVOLTS
Construction de l’usine | Part de Québec (millions $) | Part d’Ottawa (millions $) |
Prêts | 376 | 900 |
Actions de l’entreprises | 567 | |
Subventions | 436 | 400 |
Total | 1 379 | 1 300 |
Production des cellules | ||
Subventions | 1 500 | 3 100 |
TOTAL | 2 879 | 4 400 |
[1] Northvolt s’amène au Québec : les faits saillants
[2] Le plus gros projet privé de l’histoire du Québec (radio-canada.ca)
[4] Section 2, L’approche économique, Pour une définition extensive de la notion d’aide ou de subvention, Presses universitaires d’Aix-Marseille
[5] Externalité positive : Définition et exemples (finary.com)
[6] Statistique Canada, Enquête sur la population active, septembre 2023,
[12] L’aide pourrait dépasser 7 milliards… et ce n’est pas fini
[7] Le patron de la Banque Nationale n’est « pas un fan » des milliards donnés
[8] Northvolt officialisera jeudi la construction d’une usine en Montérégie
[9] Batteries: Northvolt a besoin de 15 milliards de dollars pour tenir ses objectifs
[10] Northvolt trouve 1,6 milliard pour sa méga-usine
[11] La guerre des batteries a commencé, une conversation avec Paolo Cerruti, co-fondateur deNorthvolt
Très bons commentaires. Les gouvernements risquent gros avec ce projet et avec l’ensemble de la filière batterie.
J’aimerais bien voir les chiffres des retombées économiques dont parle François-Philippe Champagne. Habituellement, dans les retombées économiques, on inclut les impôts payés par les employés, même si techniquement, ce ne sont pas les entreprises qui paient ces montants, mai les employés justement.
Comme nous sommes déjà au plein emploi, nous n’avons pas besoin de nouveaux emplois, mais d’emplois mieux payés que la moyenne québécoise, comme le dit si bien François Legault. Il faudrait donc inclure dans les retombées seulement les impôts sur la partie du salaire qui dépasse le salaire moyen.
Nous devrions aussi soustraire les subventions gouvernementales pour ajouter des logements, installer une ou des nouvelles garderies, de nouvelles écoles ou classes et former du nouveau personnel en santé. Pourquoi pas l’élargissement de la route pour les camions.
Très intéressant Louis!