On dit souvent que Montréal est le moteur économique du Québec. La Région Métropolitaine de Recencement (RMR) de Montréal représentait 54 % de l’économie québécoise en 2020, avec un Produit Intérieur Brut (PIB) [1] de 229 milliards $, en comparaison à 421 milliards $ pour l’ensemble du Québec. Par son poids économique et sa grande influence, l’économie montréalaise dicte en quelque sorte le pas au reste du Québec : lorsque Montréal va bien, le Québec se porte bien lui aussi, et vice versa.
Selon l’Institut du Québec, l’augmentation du poids économique de Montréal s’explique par la hausse de la population en âge de travailler en lien avec une forte concentration de l’immigration internationale, et la vigueur de son marché du travail.
Lors du dernier recensement de 2021, la population de la RMR de Montréal s’établissait de 4,3 millions d’habitants, soit 51 % de la population du Québec, un ratio inférieur au poids de son PIB. [2]. Ceci signifie que notre métropole comptait un PIB par habitant (un indicateur de la richesse des individus) de 24 % plus élevé que celui du reste du Québec[3]. Elle contribuait ainsi à l’enrichissement de la société québécoise
Comment se positionne Montréal par rapport aux autres villes canadiennes et internationales ?
Le tableau 1 en annexe indiquent les taux de croissance annuelle moyens (TCAM) du PIB des différentes agglomérations canadiennes sur une période de 20 ans, selon Statistique Canada[4]
Celui du Canada dans son ensemble atteignait 2,084 milliards $ en 2020. Entre les années 2001 et 2020, il s’est accru en moyenne de 3,8 %. L’agglomération montréalaise se situait à 229 milliards $ et représentait environ 11 % de l’économie canadienne. Montréal a bénéficié d’une croissance presque similaire à la croissance canadienne, soit de 3,7 %.
Toutefois, plusieurs villes canadiennes ont déclassé Montréal pendant cette période. Par exemple, le PIB de l’agglomération de Québec, beaucoup plus petit, s’est accru de 4,3 %. Toronto a affiché de taux de croissance moyen de 4,1 %, Régina de 4,4 %, Saskatoon de 5,6 %, Calgary de 4,6 %, Edmonton de 4,4 % et Vancouver de 4,8 %. On constate que l’essentiel de la croissance canadienne s’est réalisé en partie au sud de l’Ontario et dans l’ouest canadien. Montréal et le Québec y ont contribué de façon modeste.
Pendant les cinq dernières années de la période étudiée, soit de 2015 à 2020, la situation est quelque peu différente. Plusieurs villes canadiennes ont montré un essoufflement. Ceci amène à penser qu’il y aurait eu un rattrapage de Montréal, mais l’inverse s’est plutôt produit. Toronto, ville reine, a vu diminuer sa croissance à 2,1 % pour rejoindre celle de Montréal qui a été de 2,4 %. Calgary et Saint-John-Terre-Neuve ont obtenu respectivement ,3 % et 2,2 %, pendant ces cinq dernières années, en raison de la chute des prix pétroliers qui se sont maintenus entre 40 $ à 50 $ pendant ces cinq années (les prix du baril de pétrole se transigent normalement à plus de 80 $ le baril). [5] Par la suite, la période de la pandémie après 2020 a aussi eu un impact important sur la croissance des villes canadiennes. Nous n’avons malheureusement pas beaucoup de chiffres sur cette période.
Comparaisons internationales
Les points forts
Pour certains indicateurs liés à la qualité de vie, à l’environnement, la qualité de l’air et la sécurité, Montréal s’inscrit dans un rang supérieur à la moyenne si on la compare à 15 villes nord-américaines de taille similaire, selon l’Institut du Québec [6] C’est à Montréal que le taux de pauvreté est le plus faible et qu’il y a le moins d’inégalité de revenu sur l’ensemble des villes étudiées. Ceci se reflète aussi sur le coût du logement qui est le moins élevé ainsi que l’espérance de vie. Par ailleurs, Montréal, tout comme Toronto et Vancouver, se distingue pour les transports alternatifs à l’automobile, notamment le transport en commun, où en proportion, un plus grand nombre de personnes les utilisent.
Les points faibles
C’est dans le secteur économique que Montréal est faible. On note ainsi que le niveau de vie dans les villes canadiennes comme Toronto, Vancouver et Montréal est inférieur à celui des villes américaines, mais que celui de Montréal est encore plus faible.
Sur 15 villes comparées, elle se retrouve 15ièmeen ce qui a trait aux indicateurs du niveau de vie et son niveau de productivité. Elle se retrouve 8ième en ce qui a trait à sa croissance du PIB réel par habitant ou de son revenu disponible, et 11ième pour ce qui est de la croissance de sa productivité et 10ième pour la croissance de la construction. Elle est aussi 9ième en ce qui a trait aux investissements en innovation et 7ième en investissements en capital de risque.
Montréal reçoit, toute proportion gardée, un ratio d’immigrants inférieur à Toronto et Vancouver, mais ne fait pas bonne figure en ce qui concerne leur intégration : l’écart entre le taux de chômage des natifs et celui des immigrants demeure nettement positif, bien qu’il tende à diminuer.
Par ailleurs, Montréal compte à son actif plusieurs grandes universités reconnues à travers le monde, mais se positionne à l’avant-dernière position des métropoles quant à la proportion des 25-64 ans détenant au moins un baccalauréat ou plus. Montréal montre aussi une plus forte proportion de personnes âgées entre 25 et 64 ans qui ne possèdent pas de diplôme d’études secondaires, se situant au 13ième rang avec une proportion de 10 % de ces personnes.
Orienter Montréal vers la prospérité
Depuis quelques années, le caractère linguistique et identitaire de Montréal a largement accaparé l’attention médiatique. On a fait peu de cas de sa situation économique, alors qu’elle devrait attirer une attention tout aussi importante : il est ici question du bien-être des citoyens et de l’influence économique sur le reste du Québec. Nous ne retrouvons actuellement aucun politicien qui manifeste actuellement la volonté explicite d’aider Montréal.
La situation est préoccupante et urgente parce qu’elle révèle l’affaiblissement de l’économie montréalaise sur une longue période et que l’écart constaté avec les autres grandes villes pourrait s’accentuer avec le temps. Qu’en est-il alors du moteur économique du Québec ? Qu’en est-il de l’économie du Québec dans son ensemble ?
Il existe un point de rupture lié à l’isolement de Montréal sur le plan politique. Elle est sous représentée politiquement à Ottawa parce que la majorité des députés canadiens élus sont à l’extérieur du Québec. Elle est sous-représentée aussi à Québec, parce que la majorité des députés provinciaux ont été élus dans les autres régions du Québec. Montréal est une région orpheline politiquement.
Entre temps, année après année, le gouvernement du Québec a mis en place une série de politiques sociales qui lui ont donné la réputation d’être hostile au développement des affaires et qui ont été défavorables à notre métropole. C’est du moins le point de vue défendu par plusieurs organisations et regroupement d’affaires [7], dont le Fraser Institute et le Conference Board [8]
Toutefois, un sondage réalisé par l’organisme Montréal International sur les perceptions des filiales de sociétés étrangères installées à Montréal indique que les problèmes sont aussi ailleurs. [9]Ce sondage indique que 81 % des entreprises déplorent la piètre qualité des infrastructures routières, que 35 % estiment que le régime fiscal est désavantageux, que 35 % estiment difficile de transiger avec le gouvernemnet, et que 40 % estiment difficile d’avoir accès à de la main-d’œuvre qualifiée. Les points positifs concernent l’appréciation de la qualité de la vie et la qualité des institutions d’enseignement et de recherche.
Des efforts doivent être soutenus dans le but d’accroître l’attrait des nouveaux immigrants ayant un niveau d’éducation élevée. Le plus faible niveau d’éducation de la population en général et de détenteurs de diplômes de niveau supérieur contraste avec l’ampleur des ressources allouées au secteur éducatif et la réputation internationale de nos universités.
À cet égard, des efforts soutenus doivent être effectués aussi afin de garder nos cerveaux et mieux intégrer les activités et la recherche de nos grandes universités au bénéfice du milieu des affaires, notamment en suscitant les transferts technologiques, en encourageant la venue et le démarrage d’entreprises de hautes technologies.
Finalement, le niveau actuel de la fiscalité et le déséquilibre fiscal entre le gouvernement du Québec et les municipalités peuvent certainement expliquer le manque de ressources, le piètre état des infrastructures, les déficits d’entretien et le manque d’investissements, notamment dans le secteur de la construction. Une refonte de la fiscalité québécoise pourrait être élaborée dans l’optique d’un repositionnement économique de Montréal, ce qui est nécessaire pour tout le Québec.
Il ne s’agit là que de quelques pistes de réflexion, mais on voit bien qu’un travail de réflexion substantiel est nécessaire. Il est impératif redonner à Montréal sa position de leadership.
Louis Bellemare
PIB nominal et taux de croissance annuel moyen
des régions métropolitaines du Canada de 2001 à 2020
Source : Statistique Canada
[1] Produit intérieur brut (PIB) aux prix de base, par région métropolitaine de recensement (RMR) (x 1 000 000)
[2] Chiffres de population et des logements : Canada, provinces et territoires, régions métropolitaines de recensement et agglomérations de recensement
[3] Institut du Québec, Comparer Montréal,
[4] Statistique Canada
[5] Prixdubaril.com, retour sur l’historique des prix du pétrole.
[6] la 5e édition du rapport Comparer Montréal
7] Fraser Institute, Anti-business policies hurting corporate Montreal
[8] The Gazette, Montreal in for ‘rocky ride’ in 2024 as economic growth slows
[9] Montréal International, Sondage auprès des filiales de sociétés étrangères Leurs perceptions du climat d’affaires dans le Grand Montréal
Excellente analyse comparative
Merci pour ce tour d’horizon assez vaste des avantages et des lacunes de Montréal. Pour ce qui est de comparaisons avec les autres RMR du Canada, un article récent de Options politiques semble arriver à des résultats plus favorables pour Montréal (https://policyoptions.irpp.org/fr/magazines/january-2024/quebec-la-plus-forte-croissance-economique-au-canada/?fbclid=IwAR3JSM3A1I9u6awLXCvGQRZU_yqj1-1mN24SuRVEEzM-PuH1hWz8pGOpdCs ). Comme quoi, le choix des indicateurs et des périodes peut toujours faire une différence dans l’analyse.
Le rapport HMR commandé par le gouvernement fédéral et publié en 1970 recommandait déjà aux deux ordres de gouvernement de concentrer leurs efforts sur Montréal en tant que locomotive de l’économie québécoise. Ils ont préféré continuer de saupoudrer leurs efforts dans l’ensemble des régions, vraisemblablement pour rejoindre un maximum d’électeurs.
Au printemps 2011, François Legault rendait public un document de consultation en matière d’économie dans lequel le développement de la locomotive montréalaise était présenté comme une priorité. Cela ne lui a guère permis de gagner des votes à Montréal et, en conséquence, il semble avoir oublié ce chapitre du document de 2011.