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Mesures de représailles : ce qu’aurait fait Pierre Elliott Trudeau

L’histoire nous en apprend beaucoup sur les litiges commerciaux entre le Canada et les États-Unis. Le commerce entre les deux pays n’a pas toujours été dirigé par les principes du libre-échange. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que le gouvernement canadien réagit au protectionniste américain.

Pour rappel, en 1973, le gouvernement Nixon avait imposé une taxe de 10 % sur l’importation aux États-Unis de produits étrangers. Cette mesure s’inscrivait dans le contexte de la récession économique provoquée par l’embargo pétrolier des pays de l’OPEP. La production industrielle mondiale avait chuté de 10% et le commerce international de 13%. L’imposition de ces tarifs aux importations canadiennes mettait en évidence l’impasse d’une forte dépendance de l’économie canadienne par rapport à l’économie américaine.

En réaction, Trudeau avait annoncé la fin de la relation spéciale entre le Canada et les États-Unis par sa politique de la « troisième voie » promouvant son indépendance économique. Cette politique visait à assurer l’autonomie canadienne par la création de l’Agence de Tamisage des Investissements Étrangers (ATIE), l’adoption d’une Nouvelle Politique Énergétique (NPE) dont l’objet était de rediriger le pétrole albertain vers l’Ontario et le Québec, et une plus grande diversification de ses marchés, notamment vers l’Asie.

On s’appropriait ainsi d’une vision beaucoup plus large qu’actuellement de notre relation commerciale avec les États-Unis en considérant tous ses aspects, dont l’investissement direct étranger, la propriété étrangère, l’autonomie énergétique et la diversification des marchés. La troisième voie était plutôt défensive et visait à assurer le contrôle de nos entreprises en leur offrant comme compensation de nouvelles possibilités sans les pénaliser en les taxant davantage ou en limitant leurs exportations.

Il reste bien peu de chose des politiques de Trudeau

Les politiques de Trudeau n’ont pas toutes résisté à l’épreuve du temps. Il reste bien peu de chose de ces bonnes intentions. Depuis ce temps, l’économie canadienne a accru sa dépendance vis-à-vis l’économie américaine, de sorte qu’on pourrait même confondre le Canada à un 51ième état américain.

Par exemple, l’ATIE de l’époque qui limitait la propriété étrangère à 50 % a été remplacée par une loi molasse qui permet d’analyser au cas par cas certains investissements stratégiques. On ne sait plus vraiment sur quels critères. La Société Pétro-Canada créée en vertu de la NPE a été vendue à des intérêts privés et les projets de pipe-line qui auraient transporté le pétrole de l’Alberta vers l’Ontario et le Québec ont été abandonnés. François Legault lui-même a déjà traité d’énergie sale le pétrole venant de l’Alberta.

Les entreprises américaines, pour leur part, ont accru leur présence au Canada. Pour en citer quelques unes, pensons aux Walmart, MacDonald, GM, Boeing, Costco, Home dépôt, Microsoft, Google, Amazon, Apple, Best Buy, Starbucks, Burger King, Subway, ExonMobil, Ford, Tesla, Pjizer, Johnson & Johnson, Disney, WanerBros qui ont modelé le tissu industriel canadien à leur main en éliminant des milliers de nos PME en s’accaparant d’une bonne partie de notre marché domestique et de l’espace médiatique : par leurs pubs, par leurs bannières, par les médias sociaux, etc. Mentionnons aussi que plusieurs de nos entreprises à succès ont aussi été rachetées par des entreprises américaines. Qu’on pense aux cas récents de Rona, Héroux-Devtec achetée par Platinum Equity Advisor, Surplec achetée par Integrated Power Serces, Logistec par la firme new-yorkaise Blue Wolf Capital Partners, et plusieurs autres.  

Ces acquisitions ont fait l’objet de transactions de plusieurs milliards de dollars $.

On voit ici se dessiner une tendance bien réelle qui nous amène à nous demander pourquoi les américains, après que nous ayons accueilli si ouvertement leurs entreprises, devraient nous imposer des tarifs douaniers de 25 % sur nos exportations. D’autant, que dans bien des cas, ce sont des entreprises de propriété américaine qui exportent à partir du Canada.

Peut-on s’inspirer du passé ?

Sans porter en éloges l’ère Trudeauiste Père, il m’apparait encore pertinent, en réponse à l’imposition des tarifs douaniers de Donald Trump, d’adopter une approche protectionniste visant à assurer l’indépendance économique du Canada. Le contexte actuel s’y prête et nous pourrions nous inspirer des idées de l’époque. À cet égard, je suggère ce qui suit :

  • Qu’on remette sur pied l’Agence de Tamisage des Investissements Étrangers, et qu’on impose une limite de 50 % sur la propriété étrangère au Canada, notamment américaine.  Cette limite permettrait d’ouvrir des opportunités d’investissements aux investisseurs ou acquéreurs canadiens en rachetant les parts d’entreprises détenues par les américains;
  • Qu’on adopte une loi interdisant les bannières étrangères, même si les entreprises sont des concessions américaines, ou de propriété minoritaire américaine. À l’instar de ce qui se fait déjà au Québec sur l’affichage, ceci permettrait d’envoyer un message clair à l’effet que nous ne sommes pas des américains. D’autre part, cette loi pourrait avoir un effet d’émulation auprès des autres pays qui imiteraient le Canada;
  • Qu’on autorise la construction des pipe-lines de l’Alberta vers l’est canadien. Ceci permettrait s’assurer notre indépendance énergétique et de diversifier les exportations albertaines;
  • Que des efforts supplémentaires soient fait pour la diversification de nos marchés par la mise à jour de nos ententes avec l’Europe et l’Asie;
  • Qu’une taxe supplémentaire soit imposée aux médias sociaux américains qui semblent faire fi de la désinformation et faire partie de la nouvelle oligarchie américaine dont on peut douter de la neutralité;
  • À l’instar du Buy America Act, que les conditions d’accès aux marchés publics par les entreprises américaines soient renforcées.

Conclusion

On constate qu’il y a d’autres alternatives que de taxer le jus d’orange. L’effet serait d’envoyer un message clair comme quoi nous ne sommes pas des américains.

Louis Bellemare

Économiste

Published inÉconomie canadiennefrançaisGénéralPolitique canadienne

6 Comments

  1. Un rappel historique fort intéressant. Il est surprenant que P.E. Trudeau n’ai pas ajouté une hausse des tarifs douaniers à sa panoplie de moyens de résistance à l’emprise des États-Unis sur le Canada. Est-ce que son fils devrait le faire? Pour ma part, je crois que non puisque des tarifs ne feraient que pénaliser davantage les ménages et les entreprises canadiennes. Les Américains devraient vite comprendre l’irrationalité du protectionnisme. Sinon, d’autres pays ne seront que trop contents de profiter de nos produits et services. Du moins, on peut l’espérer.

  2. Noël Pellerin Noël Pellerin

    D’accord avec Louis et Jean-Claude, avec un pincement au coeur pour l’environnement. Mais comment bien entretenir sa cour quand le gros voisin est aussi malpropre.

  3. Bellemare Michel-Marie Bellemare Michel-Marie

    La politique de diversification des marchés de Trudeau le père n’a pas réellement fonctionné, et la plupart des initiatives que tu mentionnes ont été retirées après le rapport MacDonald et l’ALE. Réintroduire ces mesures de façon temporaire pourrait être laborieux.
    Quant au prolongement, je ne crois pas qu’on doive investir dans une telle infrastructure de long terme, incompatible avec nos orientations, pour un conflit de court terme.

  4. Bellemare Michel-Marie Bellemare Michel-Marie

    Par ailleurs, je suis d’accord qu’il faut faire peser les coûts de la riposte sur les médias sociaux des oligarques et ploutocrates américains, des services qui ne sont pas essentiels à la vie ni des individus, ni des entreprises.

  5. Jean-Claude Cyr Jean-Claude Cyr

    Voilà un article stimulant que tu as publié il y a 2 jours Louis.

    Il y aurait beaucoup à écrire à ce sujet.
    D’abord Trudeau père a été un fin renard politique, affirmant une chose (mets son siège en jeu pour réformer le Canada) et faisant son contraire ensuite (impose une nouvelle constitution sans répondre aux demandes du Québec, impose une charte des droits qui fait passer les individus devant le droit des peuples à la base de la formation du Canada).
    Au niveau économique Trudeau père a pavé la voie à Trudeau fils : les deux ont endetté le pays à des niveaux records à leurs époques respectives sans trop se soucier des conséquences (les mains dans le pot de miel lorsque bon électoralement).
    Face au protectionnisme américain, Trudeau père à son époque a toutefois eu de très bons réflexes comme tu le soulignes dans ton article. Je reconnais là son flair politique et une bonne analyse de la situation économique du pays. Il a alors bien utilisé son pouvoir et forcé le pays à réagir en mettant en place des mesures énergiques face au protectionnisme américain qui sont toujours inspirantes aujourd’hui.

    Je suis donc bien d’accord avec ton idée de remettre de l’avant ces idées, ce qui nous amène à tes 6 suggestions, toutes valables de mon point de vue. Mais depuis la nouvelle constitution, je ne pense plus que les idées de Trudeau père ou de ses successeurs à la tête du Canada protègent adéquatement ce que nous essayons d’être au Québec et en particulier je ne pense plus que notre économie pourrait être protégée par des mesures canadiennes seulement.

    Je constate sur la scène publique qu’il se fait des concertations avec les autres provinces et Ottawa, sur les manières de riposter, c’est déjà cela. De même les associations manufacturières, les chambres de commerce, la classe d’affaires cherchent à planifier ses avenirs avec cette menace de tarifs face à l’accès au marché traditionnel américain, encore là c’est un bon signe.

    Mais j’aimerais bien entendre une position plus forte sur la place publique. Je sens plutôt beaucoup d’incrédulité sur la volonté du nouveau président, sur le sérieux des tarifs, sur le 51e état ou encore sur le gouverneur du Canada et autres énormités. Brefs nos chroniqueurs-journalistes cherchent à cerner ce qui est réel dans toutes ces déclarations et quel sont au juste les buts cachés visés par le nouveau président qui se comporte avec ses alliés traditionnels comme un « bullies » soit, un intimidateur adoptant les méthodes de prédation d’autres puissants régimes, que nous voyons à l’œuvre sur d’autres continents.

    Ainsi il me tarde de lire ce qu’un économiste comme Pierre Fortin qui nous éclaire habituellement bien, sur ce qui devrait être entrepris comme mesures et politiques pour protéger ou développer l’économie du Québec, pourrait énoncer sur les mesures à prendre face aux énoncés du président Trump qui a réitéré depuis sa nomination, sa volonté de mettre des tarifs en place face au produits canadiens.

    Pour ma part je considère qu’avant d’être assermenté, l’actuel président Trump a montré très peu de respect envers notre premier ministre canadien, mais aussi envers tout le les habitants du pays. Si M. Trump voulait régler quelques erreurs passées de M. Trudeau fils à son endroit, on peut comprendre. Par contre je trouve bien inadéquat que l’insulte envers le peuple canadien n’ait pas été davantage couverte par les médias, car l’indignation des citoyens canadiens est bien réelle. Ainsi dans la presse du 21 janvier on trouve qu’il y a une réaction des « snowbirds québécois » en Floride alors que des courtiers immobiliers se retrouvent avec trois fois plus de ventes que de par les années passées de propriétés possédées par des « snowbirds québécois » qui se sentent insultés des propos du président Trump. Il y a sans doute bien d’autres décisions prises par d’autres citoyens ordinaires du pays pour faire savoir à leur manière qu’ils ne sont pas complètement impuissants. Si ces décisions étaient partagées, bien des habitants du pays ajouteraient leurs efforts pour contrer ce genre de menace.

    Une chose me semble sure c’est que M. Trump et sa garde rapprochée de partenaires oligarques, ne comprennent qu’une chose, que nos « snowbirds » ont eux aussi bien comprise : réagissons chacun à la place économique qu’occupe M. Trump et ses oligarques, dans nos vies !

    Pour ma part je prévoyais deux voyages aux États-Unis cette année, mais je les ai cancellés pour de bon et j’irai en Europe. J’achetais autour de 1 000 $ par année chez Amazon, dorénavant je trouverai cela au Québec. J’espère d’ailleurs que les entrepôts abandonnés par Amazon feront partie d’un pôle logistique pour la vente de produits québécois. Je devais aussi reprendre Netflix et un nouvel abonnement à Apple TV, cela aussi est abandonné définitivement. Si j’avais une Tesla, elle serait à vendre.
    J’ai de plus renoncé à acheter un nouvel ordinateur Apple depuis que ceux-ci ont des batteries qui ne peuvent être remplacées. Je n’utiliserai pas les médias sociaux et même Marketplace sera remplacé par Kijiji. Je conserve pour le moment l’usage de Google et de Microsoft. Je prévois réduire le nombre de postes américain sur la télévision (ex. : History, CNN) dont le contenu laisse d’ailleurs beaucoup à désirer depuis que l’on répète en boucle chaque déclaration de Trump ou que l’on présente des contenus de divertissements dans lequel je m’y reconnais de moins en moins (violence, superhéros) ou qui sont loin d’un contenu avec un apprentissage de certaines valeurs morales.

    Il est certainement difficile à nos leaders politiques actuels d’un océan à l’autre, de trouver des terrains d’entente face à un négociateur habile comme Trump qui mêle les cartes et divise très bien pour régner avec ses oligarques. Je note d’ailleurs même autour de moi des gens qui expriment une certaine écoeurite du Canada qui les a trompés, et ce à plus d’une reprise par le passé. Il y a donc un courant au Québec qui en est rendu à penser ne pas trop regretter l’existence du Canada !

    À cet égard, les déclarations du leader du Bloc Québécois Yves-François Blanchet pour faire front commun avec le Canada pour le défendre, montre tout de même une ouverture peu commune à refaire confiance au pays !

    Il serait souhaitable de profiter de cette menace pour reprendre là où les jeux et les enjeux se sont mêlés lors du rapatriement unilatéral de la constitution. Mais il faudrait un vrai dialogue cette fois, avec cartes sur table. Le Canada ne saurait survivre à un gouvernement central qui fait disparaître les aspirations des peuples qui le constituent.
    Que l’on revienne donc aux demandes traditionnelles du Québec face au Canada de Lévesque et Bourassa, car pour se battre de plein cœur pour conserver un pays, on ne peut le faire si une partie importante de la population a la conviction profonde, que l’autre partie essaie par tous les moyens de l’affaiblir ou de l’empêcher d’exister (contestation des lois 21 et 96 par groupes interposés, immigration imposée, champs de compétences ignorés, sabotage économique). De leur côté les Québécois bloquent tout corridor pour acheminer le gaz et le pétrole de l’ouest dans l’est du continent. Il faut revenir aux peuples fondateurs et ce, incluant les Amérindiens.

    Serions-nous capables de lier la menace des tarifs à une révision de la fédération et de réaliser ces deux tâches en même temps?
    Si la menace à notre économie et la suite des choses prévue par Trump sont sérieuses, c’est possiblement la voie la plus sure à suivre pour conserver le pays, si les actions individuelles des habitants au niveau économique pour affecter Trump et sa garde d’oligarque n’y réussissent pas ! Mentionnons que les Américains aussi subiront Trump !

    Jean-Claude Bélanger-Cyr 2025-01-23

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