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Même avec des tarifs douaniers de 25 %, se relocaliser aux États-Unis coûterait plus cher

La plupart des économistes considèrent que les tarifs douaniers de 25 % que les États-Unis imposeront aux importations canadiennes seront très dommageables pour l’économie canadienne. Selon la Chambre de Commerce du Canada, le PIB du Canada se contracterait de 2,6 % (soit environ 78 milliards canadiens). Ceci représente 1 900 $ par an par personne. L’effet serait donc d’amener le Canada en récession. [1]

Comment alors réagiraient nos entreprises ? Par quel mécanisme y aurait-il une diminution du PIB ? Les tarifs accroîtront le prix des biens importés aux États-Unis et auront pour effet de diminuer la demande pour les produits canadiens. Ils engendreront donc des surplus d’inventaires et conséquemment d’importantes mises à pied.

Par ailleurs, afin de contrer la diminution de la demande pour leurs produits, certaines entreprises canadiennes pourraient être tenter de se relocaliser aux États-Unis. C’est ce que Donald Trump souhaite et qu’il a soutenu à maintes reprises. Les entreprises canadiennes, dit-il, pourraient éviter de payer ces tarifs si elles venaient s’installer au sud de la frontière.

Ce scénario est-il avantageux ? Chaque cas d’entreprises est unique, mais on peut tirer des constats généraux qui militent plutôt en faveur d’un maintien des activités au Canada et de laisser passer la tempête.

Toutes les entreprises ne sont pas mobiles

Disons d’emblée qu’on ne peut pas, par exemple, déménager une mine, un puits de pétrole, une rivière, un barrage électrique ou une forêt. Or, l’économie canadienne est largement dominée par des entreprises qui exploitent des ressources naturelles et qui doivent être situées à proximité des ressources qu’elles exploitent. Ces entreprises composent une part importante de nos exportations vers les États-Unis. Ceci signifie que les cibles de Donald Trump n’auront aucun effet sur la mobilité de ces types d’entreprises. Face à une diminution de la demande pour leurs produits, elles devront toutefois diversifier leurs marchés pour maintenir le niveau de leurs activités et éviter des pertes de retombées économiques.

Par ailleurs, les entreprises dites mobiles qui peuvent déplacer leurs activités, pourraient être touchées. C’est le cas, par exemple, des secteurs manufacturiers en Ontario et au Québec, soit ceux de la deuxième et de la troisième transformation, notamment de l’automobile, de l’aéronautique, des secteurs de haute technicité comme la pharmaceutique et l’informatique et les firmes conseils.

Ces entreprises pourraient vouloir déménager afin d’éviter ces tarifs, mais les coûts de leur relocalisation pourraient être encore plus élevé. Voici pourquoi.

Le taux de change

Le taux change favorable donne un avantage considérable aux exportateurs canadiens et s’avère être un allier important dans la guerre tarifaire contre les États-Unis. Rappelons-nous que le dollar canadien valait ,75 dollar américain il y a à peine un an et qu’il se transige actuellement aux alentours de ,70 dollar américain. Aussi, puisque l’inflation semble être sous contrôle au Canada, la Banque de Canada pourrait être incitée à diminuer encore son taux directeur, ce qui contribuerait à abaisser encore la valeur de notre devise si l’écart des taux des banques centrales des États-Unis et du Canada se maintient.

L’impact de cette situation sur l’entreprise est le suivant : en déplaçant ses activités aux États-Unis, elle percevra le même niveau de revenus en dollars américains. Mais, en contrepartie, elle devra aussi rémunérer sa main-d’œuvre et le capital investi en dollars américains en tenant compte du coût de la vie qui y plus élevé d’environ 20 %. Or, notre devise qui se transige à ,70 US actuellement ajoute ainsi une prime qui dépasse largement l’écart du coût de la vie avec nos voisins du sud, une véritable aubaine pour les entreprises canadiennes.

Les coûts de transition

À cela, l’entreprise qui désire se relocaliser aux États-Unis devra aussi assumer des coûts de transition qui incluent notamment la construction de nouvelles usines au sud de la frontière, ainsi que les coûts de démantèlement de leurs installations ici au Canada, s’il y a lieu.

Ces coûts fixes du capital sont généralement amortis sur une longue période de temps et peuvent représenter entre 5 % et 20 % des coûts annuels d’opération de l’entreprise. Ils doivent être considérés comme des coûts que n’aurait pas à assumer une entreprise qui maintiendrait ses activités au Canada, c’est-à-dire comme un coût marginal.

À ces coûts de transition, il faudrait prévoir aussi des dépenses de recrutement et de formation de la main-d’œuvre, ainsi que d’adaptation de la logistique comme le transport et l’entreposage qui pourraient aussi être très élevées.

Les coûts des tarifs douaniers ne seront pas assumés entièrement par les exportateurs canadiens

Par ailleurs, on ne peut présumer que les tarifs douaniers imposés par les américains seront entièrement assumés par les exportateurs canadiens, soit sous la forme d’augmentation de coûts ou de diminution de leur part de marché. Il pourrait y avoir un partage des coûts entre les importateurs et les exportateurs, ce qui tend à diminuer le risque pour ces derniers.

Toutefois, ce sont vraisemblablement les consommateurs américains qui encaisseront les tarifs par des augmentations des prix à la consommation, comme l’indiquent plusieurs études empiriques réalisées notamment par des chercheurs d’Harvard, de l’Université de Chicago et du Fonds monétaire international. [2]

Or, vis-à-vis l’imposition immédiate des droits douaniers, les déplacements des parts de marchés vers les entreprises américaines prendront du temps à se réaliser en raison des limites sur les capacités de production et les délais de construction de nouvelles usines. Cette situation qui est inflationniste pour l’économie américaine procurera un répit aux entreprises canadiennes en leur permettant de maintenir leur volume de production à des prix plus élevés, possiblement le temps que la guerre commerciale s’estompe.

On comprend donc que la durée, soit en termes de mois ou d’années, avec laquelle les tarifs américains seront appliqués, revêt une importance tout à fait stratégique. Une décision précipitée vers la délocalisation d’une entreprise pourrait engendrer des dépenses infortunes.

Le soutien gouvernemental

Le Canada offre de nombreux programmes visant à supporter le développement des entreprises, notamment par des crédits d’impôt pour la recherche scientifique, des programmes d’aide à l’exportation et de soutien par l’intermédiaire de ses ambassades et de ses bureaux étrangers.

D’ailleurs certains membres des gouvernement fédéral et provinciaux ont déjà indiqué qu’un vaste plan d’aide est en élaboration pour aider les entreprises à faire face à l’imposition des tarifs douaniers américains.

Conclusion

Pour toutes ces raisons, contrairement à ce qu’affirme le président Donald Trump, les entreprises canadiennes qui exportent aux États-Unis n’auront à mon avis pas d’avantages à relocaliser leurs activités au sud de la frontière.

Louis Bellemare


[1] La menace de tarifs douaniers de 25 % brandi par Trump : une nouvelle analyse met en relief les lourdes conséquences économiques pour le Canada et les États-Unis.

[2] Tariff Pass-Through at the border and at the store: Evidence from US trade Policy, American Economic Review, 2021

Published inÉconomie canadienneÉconomie québécoisefrançaisGénéral

3 Comments

  1. Michel-Marie Bellemare Michel-Marie Bellemare

    Bonne analyse, d’autant plus que les États-Unis risquent de subir d’importantes pénuries de main d’œuvre, compte tenu des politiques anti-immigration et déportation des immigrés.
    L’intérêt pourrait être plus grand dans les secteurs de plus haute technologie compte tenu des coûts supérieurs d’acquisition de technologies novatrices au Québec et au Canada, étant donné la valeur de la devise canadienne, et de l’importance de conserver leurs positionnements dans les chaînes de valeur américaines.

  2. Je renchéris sur le commentaire de Michel-Marie en disant qu’un avantage de migrer aux États-Unis pour certaines entreprises manufacturières serait de pouvoir acquérir à meilleur compte de la machinerie et des fournitures du fait d’un taux de change plus favorable (pour les importations de tiers pays). Mais au total je crois aussi que très peu d’entreprises trouveront un intérêt à déménager sauf si leurs installations actuelles sont complètement amorties et qu’ils doivent réinvestir de toute façon. Le principal impact de ces tarifs éventuels sera davantage sur l’attraction d’investissements étrangers au Canada. Norhtvolt doit beaucoup regretter son investissement au Canada.

  3. Michel-Marie Bellemare Michel-Marie Bellemare

    Le bon sens devrait prévaloir d’ici quelques années, et le projet de Nothvolt est encore loin de la mise en production. Le retrait des subventions américaines à ce type d’industrie pourrait occasionner le retrait des mesures de soutien locales, sous peine de plainte des États-Unis.
    Pour ce qui est des investissements étrangers, c’est vrai pour ceux qui sont destinés à des mandats de production nord-américains, moins pour ceux qui sont liés à l’exploitation des ressources naturelles.
    Par ailleurs, bon an, mal an, les investissements québécois à l’étranger sont supérieurs aux investissements étrangers au Québec, souvent dans des secteurs différents toutefois. Ces investissements seront aussi pénalisés.
    Enfin, il y a tout un courant aux États-Unis, à cause de la concurrence des États entre eux pour offrir les conditions les plus avantageuses, au point de mettre en doute la rentabilité de ces subventions, un courant donc au sein des corporations de développement économique à favoriser la vigie et la rétention ( Business retention and expansion) des entreprises existantes qui sont responsables d’alentour de 80% des créations d’emplois bruts et de plus de 70% des pertes d’emplois bruts, pour toutes sortes de raisons, de signaux faibles, sur lesquels il est possible d’agir si on les anticipe et si tous les intervenants partagent leurs informations. C’est ce qu’on avait voulu implanter au ministère de l’Industrie en 2001 après avoir réalisé trois projets pilotes, en collaboration avec le ministère des Régions, les CRD/CRÉ, et CLD, les corporations municipales et même Hydro-Québec à l’aide des indicateurs de consommation d’énergie. Mais le projet avait été détourné au profit d’un mécanisme de sauvetage des entreprises ayant déjà annoncé leurs licenciements massifs ou carrément leur fermeture.

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