Il existe un théorème de l’école du choix public qui indique qu’un parti politique a tout intérêt à offrir un programme centré sur les préférences d’un électeur médian . 1 2 3 4 Un électeur médian se situe au centre d’une population divisée en deux parts égales.
Ceci signifie que, si les individus de part et d’autre de cet électeur médian ont respectivement des opinions opposées, et s’ils sont bien informés et rationnels, ils voteront pour la moins pire des options qui leurs sont proposées, pour l’option la plus proche de leur préférence, mais aussi de manière à empêcher un opposant politique d’acquérir plus de votes : leur choix s’orientera alors vers le centre. C’est le cas, lorsqu’il s’agit de choisir entre des orientations de gauche ou de droite, ou entre des propositions d’austérité budgétaire ou interventionnistes.
Ce modèle est assez simple et, dans les faits, s’est avéré prédictif des résultats électoraux. Rarement, les partis politiques se sont faits élire sur la base de propositions extrêmes. Par exemple, si le candidat idéal d’un électeur est très loin à gauche, mais le candidat le plus proche de sa position est modéré, l’électeur votera pour le candidat modéré, notamment pour empêcher un candidat plus conservateur de gagner.
L’interventionnisme de l’État
Il existe aussi un corollaire important à ce théorème qui est en lien avec les dépenses de l’État et les services à la population.
Le revenu moyen des électeurs est plus élevé que le revenu médian en raison d’une distribution inégale de la richesse. 5Or, les personnes plus fortunées ont à supporter un fardeau fiscal plus élevé que les individus se situant près de la médiane, alors que ceux-ci tireront un plus grand bénéfice des dépenses de l’État. Ils auront plus souvent tendance à appuyer des politiques expansionnistes ou interventionnistes, puisqu’ils profiteront des services publics sans en assumer les mêmes coûts que les personnes les plus riches.
C’est ainsi que dans un système démocratique, un politicien ayant pour objectif d’être élu ou réélu se fera le promoteur d’un système de redistribution qui plaise au plus grand nombre personnes. C’est ce qui explique que l’écart entre le revenu moyen et le revenu médian tende à favoriser la croissance des dépenses de l’État à la faveur de l’électeur médian. C’est aussi ce qui explique que toutes propositions de rigueur ou d’austérité budgétaire ne seront jamais très populaires auprès de la plupart des électeurs. 6
Des cas récents au Québec
Voici trois cas récents au Québec qui illustrent assez bien l’application de ce théorème : 1-une résolution du Parti Libéral du Québec (PLQ) visant la rigueur budgétaire s’il est porté au pouvoir; 2- le recentrage du programme de Québec solidaire (QS) selon la proposition de Gabriel Nadeau-Dubois; 3- les volte-face du gouvernement de la Coalition Avenir Québec (CAQ) concernant les projets de transport dans la région de Québec.
1-Les libéraux et la rigueur budgétaire
Le 25 mai dernier, lors du dernier congrès du Parti Libéral du Québec (PLQ), les militants ont adopté une résolution phare invitant le PLQ au retour de la rigueur budgétaire s’il reprend le pouvoir.
Cette résolution a été proposée à la lumière du bilan de l’ancien Premier ministre du Québec, Philippe Couillard, qui a laissé les finances publiques avec un surplus de 7 milliards $. Ce bilan contraste actuellement avec celui du gouvernement caquiste qui prévoit un déficit budgétaire historique de 11 milliards $ pour l’année fiscale 2024-2025.
La résolution a eu l’effet contraire de ce qui était espéré. En voulant présenter à la population l’image d’un gouvernement libéral responsable et rigoureux, elle a plutôt eu pour effet de rappeler l’austérité qui a été la cause de la défaite électorale des libéraux de 2018 et qui a ravivé la mémoire d’une bonne partie de la population lors des élections de 2022.
En bref, si l’électeur médian n’a pas trop digéré le plan Couillard, il ne le digèrera pas non plus aux prochaines élections. Ceci s’est par ailleurs confirmé dans le dernier sondage Léger-Québécor mené du 31 mai au 3 juin peu après la tenue du congrès libéral où l’on constate une baisse de 2% des intentions de votes pour les libéraux. 7 Plusieurs commentateurs politiques ont souligné l’erreur de la stratégie politique des libéraux. Bien que la baisse soit faible, on ne peut pas affirmer que l’argument de la rigueur budgétaire ait réussi à convaincre un grand nombre d’électeurs.
2- Le recentrage du programme de Québec solidaire (QS)
Québec Solidaire a toujours été reconnu pour ses positions plus extrêmes que les autres partis politiques. Il est écologiste, de gauche, souverainiste, féministe et progressiste. 8Le parti a déjà proposé la gratuité scolaire du CPE à l’université en 2018 et proposé une réduction des 50 % des tarifs de transport en commun. QS a su accroître sensiblement son électorat auprès des jeunes et ceux qui sont plus à gauche.
Actuellement, ceux qui adhèrent aux positions plus extrêmes de QS pourraient toutefois vouloir s’en tenir stratégiquement au centre gauche en optant pour la moins pire des options qui leurs sont proposées, soit en se rapprochant du Parti Québécois (PQ). Celui-ci se situe plus près de l’électeur médian et comporte de meilleures chances de former un gouvernement.
À cet égard, lors du dernier congrès Québec solidaire (QS), Gabriel Nadeau-Dubois a affirmé souhaiter une refonte du programme du parti et une modernisation de sa structure, ce qui pourrait signifier un recentrage vers l’électeur médian. QS deviendrait un parti de gouvernement (c’est-à-dire qui sollicite explicitement la prise du pouvoir) plus modéré, plus pragmatique et qui, en se rapprochant du centre du spectre politique, pourrait conquérir les votes du Parti québécois plus à droite. Cette stratégie aurait porté fruit si l’on se fie au sondage Léger-Québécor mentionné plus haut. QS aurait fait un gain de 2 % des intentions de votes après la tenue de son congrès du 25 mai dernier,
3- Les volte-face de la CAQ concernant les projets de transport dans la région de Québec
Il s’agit probablement de l’exemple le plus frappant de manœuvres politiques qui ont échoué dans le but de séduire l’électorat. La CAQ a été élue sous la promesse électorale de construire un troisième lien fluvial entre Québec et Lévis et de réaliser un projet de transport structurant comme celui d’un tramway.
Or, un an après l’élection de la CAQ, la ministre des Transports du Québec, Geneviève Guilbault, annonçait l’abandon d’une voie d’autoroute pour le projet d’un troisième lien fluvial entre Québec et Lévis, avec une version se limitant au seul transport en commun. 9
Par la suite, le gouvernemnet Legault a confié un mandat à la filiale Infra de la Caisse de Dépôts et de Placement du Québec (Infra-CDPQ) dans le but de faire des propositions pour un plan de mobilité dans la région de Québec. Alors que le rapport ne recommande pas de construire un troisième lien, le premier ministre Legault s’est empressé d’annoncer, contrairement aux recommandations de ce rapport, qu’il allait réaliser ce projet avec une voie autoroutière.
Plusieurs y ont vu une manœuvre électorale dans le but de récupérer les votes perdus par les nombreux volte-face du gouvernement Legault. Il est difficile pour l’instant d’évaluer si cette stratégie sera profitable ou non pour la CAQ. Pour les électeurs médians, la confusion entourant ces projets pourrait les désinciter à redonner leurs votes.
Conclusion
Les propositions des partis politiques ne proviennent pas toujours d’analyses rigoureuses en lien avec les besoins de la population ou d’analyses de rentabilité. On semble privilégier la séduction de l’électorat dans le but d’obtenir des votes plutôt que de répondre aux besoins réels de la population.
Dans le cas du PLQ, qui a été historiquement un parti progressiste au Québec, la proposition de rigueur budgétaire ne semble pas lui avoir profité. Tous s’entendent sur l’importance de la rigueur budgétaire, mais leur stratégie politique n’a pas fonctionné.
Dans le cas de Québec Solidaire, le recentrage vers une version plus pragmatique du parti pourrait l’amener à se fondre au Parti Québécois et à laisser tomber plusieurs personnes qui ont cru en son idéologie plus à gauche que celle du PQ.
Dans le cas, des projets de transport de la région de Québec, il existe une confusion depuis des années en raison des contradictions apportées par les politiciens eux-mêmes qui annoncent presque systématiquement des projets différents pour des motifs qui semblent essentiellement politiques.
À suivre…
Louis Bellemare
- Note: La médiane est la mesure de tendance centrale qui indique le centre de la série de données. Elle correspond donc à la valeur qui sépare une distribution ordonnée en deux groupes contenant le même nombre de données, source ↩︎
- Théorème de l’électeur médian, Wikilibéral ↩︎
- Hypothèse médiane des électeurs, examiner le comportement électoral, FasterCapital ↩︎
- Le théorème de l’électeur médian, pourquoi les politiciens déménagent au centre. ICH.PRO ↩︎
- Salaire médian, salaire moyen : définition, différence, comment se situer ? le Mag de la conso ↩︎
- Pour l’écho, l’éclairage économique pour comprendre l’actualité, l’électeur punit les libéraux quand ils augmentent les impôts ↩︎
- Sondage Léger-Québécor: la CAQ remonte, le PQ stagne dans les intentions de vote ↩︎
- Plateforme de Québec Solidaire ↩︎
- Un troisième lien entièrement consacré au transport collectif ↩︎
Billet fort intéressant. Je trouve aussi que la bévue du dernier congrès du PLQ est très étonnante et montre une grande déconnexion d’avec l’opinion publique. Il aurait du se limiter à parler d’un retour à l’équilibre budgétaire et non pas évoquer un retour à l’austérité budgétaire. Ceci étant dit, je reconnais que c’est très injuste pour le gouvernement Couillard qui a eu le courage de faire un ménage dont il a dû payer le prix et dont la CAQ a grandement profité.
Aux trois exemples mentionnés, j’ajouterais celui du PQ et de PSPP qui défend une option – un référendum sur la souveraineté – dont l’électeur médian ne veut rien savoir. Ce dernier sera bien embêté lors des prochaines élections d’avoir à choisir entre les extrémismes nationaliste (PQ), budgétaire (PLQ), dépensier (CAQ), de gauche (QS) et de droite (PCQ).
J’ajouterai que le PLQ et la CAQ sont usés et qu’ils ne sont plus une option pour plusieurs. Il reste deux partis, PQ et QS qui devraient obtenir le plus de votes aux prochaines élections.
Ceci dit, ce que je crains le plus, ce sont les réseaux sociaux qui viennent embrouiller une bonne partie de l’électorat, ils sont majoritairement d’extreme droite, ce qui fait craindre le pire. On semble savoir d’où proviennent ces commentaires sans toutefois être capables de les arrêter. Ces embrouilles diminuent grandement la capacité des électeurs d’aller voter de façon éclairée et font mal à notre démocratie.
Sujet fort intéressant. je me demande si ces théorèmes n’ont pas été inspirés (pour l’idée) et ensuite validés (par les résultats électoraux) par la loi du retour à la moyenne qui a été vérifiée en statistiques. L’expression “loi de la moyenne” de certains commentateurs sportifs en serait une version “abus de langage”, Selon Jean-Claude, ces lois et théorèmes pourraient être faussés par les théories “d’extrême droite” , ou populistes de droite, qui sont très présentes sur les réseaux sociaux. Cela expliquerait le maintien de la popularité du PCQ.
L’article explique de légers changements d’intentions de vote, de plus (QS) ou moins (PLQ) deux pour cent.
Quant à la chute de la CAQ, elle a été illustrée dans le comté de Jean-Talon par l’impression auprès des électeurs que François Legault est un menteur et/ou une girouette, en particulier sur le troisième lien. Son manque de sensibilité et/ou hypocrisie sur les questions d’environnement (Glencore, le caribou forestier) et de la crise du logement n’aident pas non plus.
Le PLQ devra expliquer beaucoup plus clairement ce qu’il entend par “rigueur budgétaire” et QS annoncer leur nouvelle définitions des riches (lors des dernières élections c’était 1 millions $ et plus). À mon avis, la CAQ a volontairement gonflé le déficit de cette année, avec des augmentations de salaires dans le secteur public plus élevées la première année, et le paiement des augmentations rétroactives. Il pourra ainsi facilement s’approcher davantage de l’équilibre budgétaire avant les prochaines élections.
Il est plus difficile d’expliquer la forte remontée du PQ et le maintien des intentions de vote du PCQ , passée le vote de protestation contre les mesures sanitaires durant la pandémie de covid-19., par ces théorèmes et hypothèses.
À mon avis, les 45 deuxièmes places du PQ aux dernières élections (en plus des trois députés) expliquent sa remontée, aussitôt que les lecteurs hors Montréal et Laval se sont cherché un gouvernement de remplacement. Grossièrement, le PLQ et QS se disputent l’île de Montréal (et les communautés culturelles) tandis que la CAQ et le PQ se disputent le reste du Québec (le PQ a trouvé le moyen de finir septième dans un comté à Montréal). La stratégie de PSPP est de paraître (ou être) sincère et constant dans ses convictions, et d’intervenir ponctuellement sur des sujets qui touchent beaucoup de monde, comme le téléphone cellulaire à l’école ou les menaces envers les élus sur les réseaux sociaux, par exemple. Avec une touche d’émotion à l’occasion.
Dans l’esprit des électeurs, la possibilité d’un référendum sur la souveraineté ne semble pas un facteur significatif. De toutes façons, François Legault, Marc Tanguay (confirmé) et Éric Duhaime (il était avec Mario Dumont à l’ADQ) ont voté oui au référendum de 1995, et GND et PSPP auraient fait de même s’ils avaient eu l’âge de voter. Alors …
L’élection de Ruba Ghazal comme porte-parole de QS pourrait les aider grandement dans les intentions de vote, car elle est perçue comme plus centriste et rigoureuse que la moyenne des membres, et plus chaleureuse et humaine que Gabriel Nadeau-Dubois.
Quant au nouveau chef du PLQ, c’est encore le mystère total . L’évidence de la raclée que s’apprête à subir le PLC aux prochaines élections fédérales pourrait accélérer le processus.
Correction: en lisant rapidement, j’avais attribué les deux premiers commentaires à Jean-Claude Cloutier. Ce qui explique la fin du premier paragraphe de mon commentaire précédent.
Bonjour Sylvain, tu ferais un bon chroniqueur politique.
Il ne m’est pas sympathique l’électeur médian. En démocratie, une personne un vote. Si son vote est plus pesant pour des considérations bassement politiques, l’idéal démocratique en est faussé. L’électeur informé et surtout altruiste du premier quintille serait une meilleure référence pour le bien commun mais bien sûr la plus mauvaise pour un parti politique voulant gagner les élections. Éduquer à la citoyenneté demeure sans doute la meilleure option pour faire mentir ces pseudos théorèmes.