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Le nouvel eldorado de l’hydrogène blanc

Site de forage d’hydrogène naturel dans le Kansas par Natural Hydrogen Energy (photo courtoisie: Viacheslav Zgonnik)

Dans un avenir assez rapproché, le gagnant de la saison de la formule 1 pourrait bien être Red Bull-Honda. Mais, il pourrait aussi bien être Mercedes, ou même McLaren, ou même Ferrari. Pourvu que ces véhicules soient propulsés à l’hydrogène, ce qui ferait toute la différence.

Bien sûr, ces voitures de course n’auront pas de pilote, parce qu’elles seront autonomes, au grand dam des producteurs de champagne. Par ailleurs, la combustion de l’hydrogène est beaucoup plus silencieuse que les voitures à essence lorsqu’elle alimente des piles à combustible. Adieu les pilotes, mais adieu aussi le vacarme infernal des Grands Prix. Il s’agit là d’un progrès considérable, même d’une très bonne nouvelle.

Mentionnons que la combustion d’un kilogramme d’hydrogène libère 3 fois plus d’énergie que son équivalent en essence, en ne produisant comme matière résiduelle que de l’eau. Il est donc non polluant. Il se retrouve en abondance sur terre sous la forme atomique constituant une quantité presque inépuisable d’énergie. Il peut être un moyen efficace de stockage de l’électricité sur de longues périodes. Pour toutes ces raisons, il représente le carburant de l’avenir pour assurer la transition énergétique.

Bien sûr, actuellement, contrairement à monsieur et madame tout le monde, ce sont des gens comme les grands propriétaires de la formule 1 ou la NASA qui peuvent se permettre de payer ce carburant d’avenir qui coûte cher, beaucoup plus cher que l’essence.

La découverte d’hydrogène naturel

Mais, quelque chose qui semblait improbable il y a quelques années est venu changer la donne. De grandes quantités l’hydrogène naturel, aussi appelé hydrogène blanc, ont été découvertes dans le sous-sol terrestre. C’est ainsi qu’un premier puits a été trouvé par hasard au Mali vers le milieu des années 1980. Plus tard, le plus gros gisement du monde a été trouvé en Lorraine en France, représentant 46 millions de tonnes, soit la moitié de la production annuelle mondiale d’hydrogène.1 2

D’autres puits d’hydrogène naturel ont été découverts un peu partout, alors qu’on pensait qu’il était impossible de retrouver cet élément à l’état pur sur notre planète, notamment aux États-Unis, partout en Europe, en Asie, au Canada. On réalise actuellement qu’il pourrait en avoir en abondance partout, bien qu’on ignore encore la quantité exploitable.

L’avantage est que le coût d’extraction de ce type d’hydrogène H2 serait beaucoup moins élevé que les autres moyens de production, et pourrait devenir plus compétitif par rapport aux énergies fossiles. Une autre bonne nouvelle est que, selon les spécialistes, l’hydrogène naturel aurait cette propriété de se regénérer continuellement dans le sous-sol terrestre, donnant une source d’énergie presqu’inépuisable.

Donner des couleurs de l’hydrogène

Pour comprendre la dynamique du développement de l’hydrogène, il faut savoir qu’il en existe de différentes couleurs. Il y en a du noir, du gris, du bleu, du turquoise, du rose, du jaune, du vert et bien sûr du blanc. 3 Il ne s’agit pas là de véritables couleurs puisque l’hydrogène est incolore. Il s’agit d’une façon de catégoriser les différents moyens de production selon l’intensité des déchets en carbone produits (cf. l’encadré ci-dessous).

Dans le jargon des spécialistes, on parle d’un processus Énergie-Production-Énergie pour désigner le fait que l’hydrogène est considéré comme un vecteur d’énergie plutôt qu’un combustible à proprement parlé. 4Ceci signifie qu’il faut fournir une dépense initiale d’énergie pour produire l’hydrogène par des procédés coûteux, comme le vaporeformage (séparation de l’hydrogène par la vapeur chaude) ou par électrolyse. Pour de raisons économiques, 95 % de la production actuelle s’effectue par la transformation d’énergies fossiles, donc par ce premier procédé, dont pour près de la moitié à partir du gaz naturel, ce qui est encore polluant.

Les différentes couleurs de l’hydrogène

L’hydrogène noir: vous l’aurez deviné, il s’agit du plus polluant des procédés de production. Il est produit à partir de charbon, lui-même converti en gaz avant d’être transformé en hydrogène. Son coût est entre 2,072$/kilo canadien et 3,4 $/kilo;

L’hydrogène gris : le plus courant et le moins cher à produire, il est fabriqué à partir du vaporeformage de méthane, c’est-à-dire grâce à de la vapeur d’eau à haute température (700-1000°C). Il est donc d’origine fossile. Malheureusement, il ne s’agit pas du moyen de production le plus écologique. Son coût se situe entre 1,48 $ à 3,7 $ /kilo;

L’hydrogène bleu : lui aussi est produit à partir de matières fossiles, mais il est associé à un dispositif de captage et de stockage du CO2 produit (CSC). Il est malgré tout considéré comme un hydrogène bas carbone. Son coût est environ de 5,18$/kilo [1];

L’hydrogène vert : l’hydrogène vert est produit à partir d’électricité d’origine renouvelable grâce à l’électrolyse de l’eau. Il est de la catégorie du bas carbone. Son coût de 3 $à 10$/kilo selon le lieu de production ou que l’électricité soit produite par des barrages hydrauliques, des éoliennes ou des panneaux solaires;

L’hydrogène rose : Il est aussi produit par électrolyse de l’eau, mais il est obtenu à partir d’électricité d’origine nucléaire. Son coût est d’environ 5,8 $/kilo;

L’hydrogène blanc : L’hydrogène blanc est extrait directement du sol sous sa forme moléculaire H2, éliminant ainsi la nécessité de techniques de transformation coûteuses ou polluantes. Son coût d’extraction serait de moins de 1,48$/kilo.


On réalise par la description de ces différents moyens de production que la production d’hydrogène est coûteuse et qu’elle l’est encore plus si l’on veut produire à bas carbone. 5L’électricité nécessaire peut représenter à elle-seule jusqu’à 80 % des coûts de production totaux qui peuvent varier selon l’emplacement de la production, du type d’énergie renouvelable (éolienne, hydraulique, nucléaire, ou solaire). 6 On voit par les coûts de production des différentes couleurs qu’il est beaucoup plus cher à produire que l’essence, sauf pour le blanc. À titre d’information, le prix minimum d’un litre d’essence à la rampe de chargement (avant stockage, transport, et taxes) s’établissait 1,44 $ le kilo pour l’essence ordinaire.7 8

Par ailleurs, de très grandes quantités d’énergie sont nécessaires pour le stockage de l’hydrogène. En raison de sa faible densité comme élément, son transport par unité de volume est beaucoup plus coûteux que les hydrocarbures. Selon certains estimés, les coûts de transport s’établiraient entre ,3 $ à 3 $can/kilo, selon qu’il soit transporté par pipeline, par transport liquéfié ou en liaison à un composé organique liquide. Au final, considérant le stockage, transport et marges de profit des intermédiaires, le prix de l’hydrogène à la pompe pour l’utilisation d’une voiture à hydrogène est de l’ordre de 15 $ à 18,6 $/kilo, soit d’environ 20,5 $/100 km, deux fois plus cher que l’essence.

Y a-t-il un marché pour l’hydrogène blanc ?

On serait tenté de croire que l’hydrogène bas carbone n’est pas compétitif en raison de ses coûts élevés. Nous pouvons constater toutefois les faits suivants :

  • Il existe déjà un marché pour certaines utilisations spécialisées comme la production d’ammoniac pour les engrais, la fabrication du verre, le traitement des métaux et le raffinage du pétrole. Malgré son prix plus élevé, il peut-être aussi utilisé pour certaines industries lourdes, le transport de charges lourdes et transport longue distance qui représentent 30 % des émissions à effet de serre, et où le poids important et la faible autonomie des véhicules à batterie posent un plus grand défi que dans le transport de passagers. 9
  • La détermination des gouvernements à imposer des règles de transition et des objectifs de réduction des gaz à effet de serre, les subventions offertes, la mise en place des marchés du carbone et les taxes sur l’énergie ont pour conséquence de fixer un prix de plus en plus élevé au carbone. Or, c’est à partir de ce prix-carbone que le marché des énergies alternatives non polluantes se développeront. Ce qui est impérativement le cas pour l’hydrogène.
  • Selon certaines études 10 11le coût de production de l’hydrogène vert, celui qui est produit avec de l’électricité renouvelable, pourrait chuter jusqu’à 85% d’ici 2 050 en raison des progrès technologiques qui amèneront une diminution des coûts de la production de l’électricité.

Pour ce qui est de l’hydrogène blanc, les découvertes géologiques l’ont rendu encore plus compétitif par rapport aux énergies fossiles et facilitent la réalisation des objectifs gouvernementaux. Son extraction directement du sous-sol terrestre le rend beaucoup moins coûteux que celui de l’hydrogène vert et pourrait provoquer une spirale vers le bas de son prix.

Les découvertes géologiques sont encore à leur début, un peu comme il y a plus de 100 ans, lorsque qu’on a trouvé des fuites de pétrole. L’abondance de ce type hydrogène pourrait le rendre très compétitif par rapport aux énergies fossiles.

Qu’en est-il au Canada et au Québec ?

Le Canada produit environ trois millions de tonnes d’hydrogène par année, principalement à partir du gaz naturel, et est actuellement l’un des dix principaux producteurs mondiaux.

Par ailleurs, la Commission géologique du Canada tente de cartographier les accumulations potentielles d’hydrogène pur dans son sol depuis 2022. Le potentiel du Canada est lié à l’étendue de son territoire et de son type de roches, notamment dans des zones d’extraction d’hélium comme celles de la Saskatchewan et de l’Alberta, dans zones séismiques de la Colombie-Britannique et en Ontario. 12[

Au Québec, une première étude 13 indique aussi un important potentiel en raison de la présence, et la qualité, dans la province des « roches mères » dans lesquelles l’hydrogène est habituellement retrouvé à l’état naturel. La taille du Québec, la diversité de ses environnements géologiques et leur large gamme d’âges en font « un territoire prometteur pour l’exploration de l’hydrogène naturel », écrivent les auteurs de cette étude. On en retrouverait ainsi au sud du fleuve Saint-Laurent, sous des couches sédimentaires, ainsi qu’au nord du fleuve dans le Bouclier canadien.

Conclusion

L’engouement pour l’hydrogène blanc à travers le monde n’est pas que passager. Par exemple, l’Allemagne a annoncé il y a quelques mois qu’elle allait dépenser 9 milliards d’euros d’argent public pour devenir le producteur numéro un d’hydrogène. 14 La France, depuis la découverte d’un puits d’hydrogène naturel à Lorraine, a annoncé des financements massifs pour explorer le potentiel de l’hydrogène blanc. 15 16

La « Stratégie québécoise sur l’hydrogène vert et les bioénergies 2030 » 17, publiée en 2022 par le gouvernement Legault, ne mentionne qu’une seule fois l’hydrogène naturel comme source de développement, en appelant à en documenter le potentiel au Québec.

Bien que le Québec mise sur l’hydrogène vert en raison de l’abondance de son électricité, nos capacités comme producteur d’électricité à bas coût commencent à être de plus en plus limitées.

Serait-il opportun alors d’investir aussi dans l’exploration et la prospection d’hydrogène blanc au même titre que les investissements massifs effectués dans la construction de nouvelles capacités de production d’électricité qui serviraient à la production hydrogène vert, ou bien pour attirer des usines de batteries d’automobiles ?

Louis Bellemare


Références

  1. Avis d’expert: l’hydrogène naturel ↩︎
  2. L’hydrogène naturel sera-t-il le nouveau pétrole ? ↩︎
  3. Tout savoir sur les couleurs de l’hydrogène ↩︎
  4. L’essentiel du l’hydrogène ↩︎
  5. La compétitivité des hydrogènes gris, bleu et vert ↩︎
  6. Cérémé, l’énergie de la raison. Études des coûts complets de l’hydrogène ↩︎
  7. Un litre d’essence correspond à ,75 kilogramme ↩︎
  8. Prix minimaux à la rampe de chargement ↩︎
  9. Aperçu du marché: l’hydrogène pourrait faire partie du mouvement mondial vers la carboneutralité ↩︎
  10. Le coût de production de l’hydrogène vert devrait chuter jusqu’à 85 % d’ici à 2050 selon BloobergNEF ↩︎
  11. L’hydrogène vert doit encore baisser ses coûts ↩︎
  12. Le Canada à la recherche de l’hydrogène blanc ↩︎
  13. Potentiel de l’hydrogène naturel au Québec (Canada): un premier bilan ↩︎
  14. L’hydrogène, le nouvel Eldorado énergétique au Canada ↩︎
  15. L’hydrogène blanc, le potentiel d’un révolution énergétique pour la France ↩︎
  16. Tout savoir sur l’hyrogène ↩︎
  17. Stratégie québécoise sur l’hydrogène vert et les bioénergies ↩︎
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3 Comments

  1. Patrice Patrice

    Toute une recherche! Ca donne une meilleure compréhension de ce sujet d’avenir. Merci !

  2. Jean-Claude Cloutier Jean-Claude Cloutier

    Encore une fois, un très bon tour d’horizon qui aide à nous démêler. Espérons que les espoirs concernant l’hydrogène blanc ne soient pas déçus, mais il est étrange qu’on n’en ait pas trouvé davantage depuis le temps qu’on creuse le sol. Mais même si on en trouve en abondance, il restera des problèmes comme la grande inflammabilité de l’hydrogène et celui connexe des normes de fiabilité élevé des réservoirs pour l’entreposer qui limiteront son usage dans différents domaines.

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