La politique énergétique du gouvernement Legault serait-elle-devenue une nouvelle saga après celle du tramway de Québec et du troisième lien ?
Le projet de loi 69 déposé récemment à l’Assemblée nationale du Québec suscite de nombreuses interrogations. Il propose un cadre pour « assurer une gouvernance responsable des ressources énergétiques » et pour « soutenir, stimuler et promouvoir la production d’énergie ainsi que le développement de nouvelles filières énergétiques » (article 14). [1]
En d’autres termes, il vise à soutenir l’ambitieux programme de transition énergétique du Québec. Il permettra à Hydro-Québec de réaliser son Pan d’action 2035 [2] afin d’accroître la production d’énergie bas carbone à des niveaux gargantuesques. La société d’État aura besoin de 150 à 200 TWh additionnels à l’horizon de 2050, soit deux fois plus d’électricité qu’actuellement, et 60 TWh de plus d’ici 2035, ce qui correspond à l’ajout d’entre 8 000 et 9 000 MW de puissance. [3] La société misera sur la production éolienne et la production hydroélectrique, mais d’autres modes de production seront aussi envisagés comme le solaire et le stockage par batterie.
Les enjeux de la politique énergétique
Les investissements nécessaires d’ici 2035 sont énormes, soit de l’ordre de 155 à 185 milliards de dollars[4] dont 75 % seront consacrés à la décarbonation du Québec, et 25 % à la croissance économique. De ces objectifs, on estime que 40 % seront consacrés à l’électrification des transports et 35 % à la décarbonation des industries. [5]
Ainsi, force est de constater que ces investissements ne visent pas à répondre à l’augmentation de la demande en consommation d’énergie, mais visent plutôt à répondre à des objectifs environnementaux, à la décarbonation de notre économie. On constate que ce plan coûte cher, même très cher, et que ce sont les contribuables qui en paieront le prix.
Étant donné les montants en jeu, plusieurs spécialistes, associations et acteurs de l’industrie énergétique expriment des réserves sur la capacité d’Hydro-Québec de maintenir des tarifs compétitifs dans l’avenir et la nécessité de maintenir l’interfinancement qui profite actuellement à la clientèle résidentielle [6]
Ces nouveaux investissements ne garantissent plus des coûts de production de l’électricité aussi faibles qu’auparavant. Selon la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI), les PME pourraient accuser des hausses tarifaires annuelles de 8,6 % de 2025 à 2035, faisant bondir leur facture électrique de 2,47 fois durant cette période.[7] Le Conseil du patronat du Québec pour sa part constate que l’écart entre les tarifs résidentiels et les tarifs commerciaux demeure important et demande une réduction de l’interfinancement.[8] La Fédération des Chambres de Commerce demande aussi à ce que le coût de l’électricité soit réparti de façon équitable. [9] D’autres organisations tels que l’Institut de l’énergie Trottier et l’Union des consommateurs signalent qu’il est impossible de doubler la capacité de production d’Hydro sans augmenter les factures résidentielles. [10] [11]
Or, malgré toutes les considérations des experts, le premier ministre du Québec fait la promesse de plafonner la hausse annuelle des tarifs résidentiels à 3 %. Sans expliquer le fondement de ses propos, il fait le pari que les entreprises seront de plus en plus à la recherche d’énergie propre, qu’en la payant plus cher, ils subventionneront encore plus les rabais résidentiels.
Afin de garantir le plafonnement de la hausse des tarifs à 3%, il propose de créer un fonds d’aide à la clientèle domestique visant à compenser la société d’État pour les pertes de revenus induites par le plafonnement. Alors que la société d’État a toujours versé de généreux dividendes au gouvernement, on se retrouverait alors dans une situation inverse, soit celle où le gouvernement subventionnera la société d’État avec les taxes des contribuables dans le but de maintenir les tarifs résidentiels sous la barre des 3 % et de financer le plan de décarbonation du gouvernement.
Privilégier une politique d’autoproduction énergétique
Peut-être, sommes-nous rendus à une croisée de chemin. Le plan de décarbonation du gouvernement Legault implique des investissements majeurs qui compromettent nos acquis des politiques énergétiques des dernières années, notamment le maintien des tarifs concurrentiels pour les entreprises et le marché résidentiel.
Aussi, le recours à des systèmes de production d’électricité centralisé comme ces immenses barrages hydro-électriques que nous avons construits dans le passé n’est peut-être plus la seule solution privilégiée pour fournir l’électricité dans le contexte actuel. On constate que de nouvelles technologies évoluées comme le solaire passif, le solaire photovoltaïque, l’éolienne résidentielle, la micro-hydroélectricité, les batteries domestiques, et bien sûr les systèmes d’économie d’énergie, permettent de plus en plus de décentraliser la production à proximité des foyers et des entreprises, et d’assurer ainsi leur autonomie énergétique à des coûts de plus en plus concurrentiels[12]
Proposition
Afin d’éviter les chocs tarifaires et d’éviter de subventionner la tarification à même les taxes et les impôts des contribuables, le gouvernement pourrait investir dans l’autoproduction énergétique des foyers et des entreprises plutôt que dans un fonds d’aide qui subventionnerait la tarification à partir d’un système centralisé. L’autoproduction n’est pas une privatisation puisque l’électricité serait produite pour les besoins propres des consommateurs et non pour sa commercialisation.
Cette proposition aurait comme objectifs de rendre les consommateurs indépendants d’un monopole d’État; de rendre les consommateurs responsables de leur consommation d’énergie en évitant le gaspillage induit par une tarification qui n’est pas représentative des coûts réels de production; de diminuer les investissements prévus par le gouvernement dans son plan actuel, diminuant ainsi l’impact tarifaire pour les clientèles d’Hydro-Québec.
Déjà le projet de loi 69 ouvre la voie à ce type de production pour les entreprises, mais le gouvernement pourrait aller plus loin et donner des incitatifs plus alléchants dans le but d’accroître l’autonomie des foyers.
Louis Bellemare
[1] Projet de loi no 69, Loi assurant la gouvernance responsable des ressources énergétiques et modifiant diverses dispositions législatives
[2] Plan d’action 2035, Vers un Québec décarboné et prospère.
[3] Le plan d’Hydro-Québec pour permettre la décarbonation, contribuer à la prospérité du Québec et répondre aux attentes des clients.
[4] Hydro-Québec investira des dizaines de milliards de dollars pour augmenter sa production
[5] Vers un Québec décarboné et prospère,, Plan d’action 2035
[6] Tarifs d’électricité : démystifier l’interfinancemen pendant qu’il est encore temps. Union des consommateurs
[7] Le projet de loi 69, un signal clair pour la transition énergétique
[8] Mémoire du Conseil du patronat du Québec Consultation sur le projet de loi no 69 Loi assurant la gouvernance responsable des ressources énergétiques et modifiant diverses dispositions législatives Septembre 2024
[9] Mémoire déposé dans le cadre des Consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 69, Loi assurant la gouvernance responsable des ressources énergétiques et modifiant diverses dispositions législatives
[10] Hausse des tarifs de 3 % pour Hydro-Québec, ça ne tient pas la route
[11] Québec doit miser sur l’efficacité énergétique selon l’Union des consommateurs
[12] En quête du meilleure système d’autoproduction énergétique au Québec,, Éco Habitation
Bonjour Louis,
Félicitations encore une fois pour cet effort de réflexion et de documentation sur un sujet de grande importance pour la société québécoise.
Je crois aussi qu’il faut aller dans le sens d’une plus grande responsabilisation des consommateurs d’énergie. À cet égard, le plus simple serait quand même de rapprocher progressivement la tarification du coût marginal de production de l’électricité.
L’autoproduction devrait certes être encouragée, mais je crois que son potentiel est très limité étant donné l’ensoleillement insuffisant sous nos latitudes et les surfaces limitées pour l’installation de panneaux solaires dans les résidences et les terrains privés. Il y aurait aussi la géothermie, mais l’investissement initial est très élevé. Dans les deux cas, solaire et géothermie, il y a aussi des coûts d’entretien et de remplacement à prévoir. Bref, il n’y a pas de solution sans douleur pour le citoyen ou le contribuable. En bout de piste, le consommateur devra payer d’une façon ou de l’autre pour sa consommation et c’est très bien ainsi.
Il semblerait que les nouvelles technologies solaires permettent maintenant de couvrir les besoins d’une maison de taille acceptable. Mais c’est vrai qu’il y a un cout. Quant a la tarification au cout marginal, elle s’applique au cas d’un monopole, c’est-a-dire pour un systeme centralise.
Louis
Bonjour, je me présente, Patrick Goulet président d’Énergie solaire Québec. Nous sommes une OSBL et avons intervenu à la commission la semaine dernière. À propos de votre affirmation sur l’ensoleillement au Québec, nous en avons plus que l’Allemagne qui eux investissent massivement dans le solaire. Notre potentiel solaire sur les toits selon le centre de recherche fédéral CanmetÉnergie à Varennes est de 30TWh. Et bonne nouvelle le PV aime le froid et produit plus en hiver. Vous pouvez entendre notre présentation à la commission PL69 ici https://www.assnat.qc.ca/fr/video-audio/archives-parlementaires/travaux-commissions/AudioVideo-105469.html
Merci pour ces précisions et félicitations pour votre témoignage à la commission parlementaire. Je l’ai écouté ainsi que les échanges subséquents avec grand intérêt.
Je comprends que le 30 TWh estimé par Canmet pourrait répondre à environ le tiers des 90 TWh du secteur résidentiel québécois ( estimation de 2021 publiée par HÉC, État de l’énergie au Québec, édition 2024, , p.46.). En d’autres termes, l’autoproduction doit être encouragée, mais elle ne permet pas l’autosuffisance des résidences.
J’ai longtemps songé à m’installer des panneaux solaires ainsi qu’une éolienne ( comme sur mon voilier, à petite échelle, ça fonctionne très bien ). Ce qui m’a arrêté c’est bien sûr les couts de l’ordre d’environ 35K. Pour rentrer dans mon argent, actuellement et au tarif d’aujourd’hui, il me faudrait 18 ans pour payer le système lui-même, et ceci sans compter les pertes d’intérêts sur le capital versé, l’entretien et le remplacement des accumulateurs de charge. Je ne calcule pas l’excédent que je pourrais revendre à H-Q le cas échéant.
Les gouvernements donnent des subventions aux acheteurs de véhicules électriques, pourquoi ne pas donner une subvention suffisamment alléchante pour installer des systèmes autonomes? Et avec un programme de rachat d’excédent, nous pourrions certainement en arriver à des couts allégés tout en aidant la société ( comme dans certains pays d’Europe ). Ma dernière question est; est-ce qu’on tient compte de la perte de revenu de la centrale terre-neuvienne Muskrat Falls?
Si tu achetes un maison a 600 000 $ pour 35 000 $ de plus, tu peux avoir une maison autonome.
Tout à fait d’accord. Un projet en ce sens est évoqué dans la biographie d’Elon Musk (toits solaires esthétiques et batterie de grande capacité). Sans être un fan, je luis reconnais un côté visionnaire dans le domaine. Il ne faut pas réfléchir à partir d’une photo polaroid (pour les jeunes, vieil appareil photo au temps du fax) de la technologie. Il convient de nous projeter dans le très long terme où la courbe d’apprentissage technologique sera sans doute exponentielle. Pas celle des barrages hydroélectriques toujours plus épais en ciment, créateurs de vastes bassins d’eau sans vie et destructeurs de la beauté du monde. L’avenir n’est pas là. Ta proposition permettrait en effet de responsabiliser le consommateur. Plein de bon sens donc. Mais peut-être le problème est-il que nos dirigeants politiques actuels ne voient pas dans cette avenue des retombés et un héritage politiques suffisamment gargantuesques. Simple opinion ici, il faudrait creuser l’option. Mais encore faut-il avoir l’appétit de sortir la pelle et l’énergie de creuser. En tout cas, bravo Louis pour ce bon texte à contre-courant.