Pour l’histoire
‘Il y a du sucre partout’ avait crié Marie-Antoinette. Sa servante en panique avait échappé le pain de sucre qui s’est cassé en miettes sur le parquet de la cuisine royale, privant le roi Louis XVI de son dessert favori. Il était très fâché, le sucre le revigorait.
À l’époque de Marie-Antoinette, vers les années 1780, dans une France au bord du gouffre financier et ruinée par la guerre de succession d’Autriche, il fallait courir mille et une lieues pour se procurer ce précieux ingrédient qui relevait soyeusement le goût au palais. Le sucre était rare et coûteux.
Selon les rumeurs, du moins selon les mémoires de Jean-Jacques Rousseau, Marie-Antoinette aurait même recommandé aux français mourant de faim… de manger des brioches [1](bien sûr sucré) puisqu’ils manquaient de pain.
Tous savaient que les brioches n’étaient que pour les riches. Elle en paya le fort prix par la suite.
Le sucre est relié à l’esclavage
Marie-Antoinette ne savait peut-être pas que son sucre provenait de l’esclavage. On estime qu’entre 1713 et 1791, 1 million d’esclaves sont arrivés aux Antilles pour travailler dans les plantations de cannes à sucre, et ce, afin d’assouvir la gourmandise des notables d’Europe. [2]Sa production en fit baisser les prix et favoriser la demande. Mais, à l’époque, il demeurait destiné aux plus nantis.
Par ailleurs, le rhum, qui en était dérivé, alimentait le commerce triangulaire entre l’Europe, les Antilles et l’Afrique en servant de monnaie d’échange pour acheter encore plus esclaves. [3] [4]Donc plus de rhum, plus d’esclaves, et donc, plus de sucre et encore plus de rhum : une stratégie évolutive du commerce, en quelque sorte.
Plus tard, le chimiste allemand, Andreas Marggraf, découvrit que la betterave produisait exactement le même ingrédient que la canne à sucre, le saccharose, et qu’on pouvait le produire sur place. [5]Les premières usines de transformation de sucre en Europe seront ainsi fondées en Allemagne et en Russie à partir de la betterave.
La betterave sucrière, comme on l’appelle, contribua donc aussi à développer le marché du sucre. En 1890, elle approvisionnait alors 60% de la consommation mondiale, une suprématie qui se prolongera jusqu’au début de la première guerre mondiale. La production de sucre en Europe s’est multipliée par 1 000 entre le 18ième et le 20ième siècle.
En 1806, Napoléon 1er, empereur de France, décrète un blocus continental contre l’Angleterre, prohibant l’importation de toutes marchandises en sol français, dont le sucre de canne provenant des Antilles. [6] Ceci incitera les producteurs français à produire eux-mêmes le sucre avec de la betterave.
L’industrialisation du sucre aujourd’hui
Le sucre est partout
Si Marie-Antoinette était encore vivante (voir mon texte sur le vie éternelle), elle aurait encore dit qu’il y a du sucre partout. Cette situation alimente le paradoxe selon lequel, malgré sa popularité, le sucre ne contient pourtant aucune valeur nutritive; ni vitamine, ni protéine et ne sert aucunement à nourrir les peuples du monde.
Son engouement s’explique par la luxure, la gourmandise et son goût. Mais, jamais n’y a-t-il eu un aliment ayant soulevé autant d’intérêt à travers le monde. Ainsi, au vingtième siècle, suite à l’industrialisation et la baisse du prix, la demande pour le sucre a littéralement explosé, passant de 11 millions de tonnes produites à 183 millions de tonnes.
Le problème, aujourd’hui, est que cette industrialisation s’appuie sur l’exploitation de plusieurs propriétés du sucre servant à la transformation des aliments: il favorise la conservation des aliments à base de fruits, de légumes et de viandes et rehausse leur goût pour leur donner un simulacre de fraîcheur. Il améliore leur aspect et leur texture. Il est présent dans les boissons gazeuses, les pâtes alimentaires, le pain, le vin, et même les cigarettes électroniques. Bref, il est multidisciplinaire.
Aujourd’hui, le sucre est partout sans que les consommateurs en soient conscients. Les esclaves des Antilles n’ont donc pas travaillé pour rien, bien que nous soyons tous devenus nous-mêmes des esclaves du sucre sans le savoir.
Qu’est-ce que le lobby du sucre ?
Ce sont de grandes multinationales de transformation des aliments (ex. Kellog, Nabisco, Nestlé, Kraft) dont le lobby auprès des gouvernements est extrêmement puissant et qui trouvent un intérêt à ajouter de grandes quantités de sucre dans les aliments pour des raisons essentiellement commerciales, sachant aussi que le sucre peut créer une forte dépendance.
On estime qu’un individu consomme, en moyenne, sans s’en rendre compte, 50 kilos de sucre en une seule année, soit l’équivalent de 26 cuillères à thé de sucre par personne par jour.
À l’instar de ce qui s’est passé pour le tabac, ces entreprises contestent les études scientifiques concluantes établissant des corrélations directes entre des maladies chroniques comme l’obésité, le diabète, les maladies cardiaques, le cancer, les maladies des reins et même l’Alzheimer. [7] [8] [9] [10]Elles auraient même réussi dans le passé à faire tomber une résolution de l’Organisation Mondiale de la Santé visant à réduire de 10 % la quantité de sucre dans les aliments transformés.
Pourtant les courbes de progression coïncident en tout point. Parallèlement à l’augmentation de la consommation du sucre, on estime actuellement à près de 100 millions le nombre d’individus qui seraient atteints de prédiabète ou le diabète. Le pourcentage de personnes obèses aux États-Unis a continuellement augmenté passant de 19,4 % en 1997 à 39,6 % dont 18,5 % d’enfants en 2016.
L’impact sur les coûts de santé
Évidemment, si l’on pouvait éliminer toutes ces maladies, l’impact sur les coûts de santé serait considérable. Limiter la consommation de sucre s’avèrerait donc judicieux et extrêmement rentable pour notre société, en épargnant notamment sur une diversité des traitements médicaux qui sont aussi extrêmement coûteux.
Mais avons-nous le courage de le faire ? Serions-nous capables de nous opposer aux géants de l’alimentation. L’enjeu est d’autant plus important maintenant que l’inflation alimentaire incite les personnes à acheter des produits alimentaires transformés qui sont moins dispendieux et de moindre qualité que des produits frais, mais dont le goût est artificiellement relevé par l’ajout de grande quantité de sucre.
L’industrie ne corrigera pas par elle-même, les gouvernements doivent agir.
Louis Bellemare
[1] Qu’ils mangent de la brioche ! Une phrase de Marie-Antoinette
[2] Histoire de la culture des plantes sucrières
[3] Histoire, les Antilles françaises, le sucre et la traite des esclaves
[4] Histoire du rhum : tout savoir sur l’origine du rhum
[5] La petite histoire du sucre | ICI Radio-Canada.ca
[6] La petite histoire du sucre | ICI Radio-Canada.ca
[7] Sweet Death: How Sugar Is Making Us Sick | ENDEVR Documentary
[8] The Scary New Research On Sugar & How They Made You Addicted To It! Jessie Inchauspé | E243
[9] The secrets of sugar – the fifth estate
[10] Consommation du sucre : 50 ans de conseils nutritionnels
Article très pertinent. Il est difficile de comprendre pourquoi les gouvernements ne s’attaquent pas davantage aux méfaits considérables du sucre sur la santé. À la liste déjà très lourde de Louis, il faut ajouter la carie dentaire et probablement l’hyperactivité chez les jeunes.
Certaines administrations municipales ont tenté des taxes sur des produits spécifiques comme les boissons gazeuses, mais sans grand succès et en suscitant beaucoup d’irritation chez les consommateurs. Puisque le sucre est partout et en quantité croissante, il faudrait taxer à la source, soit à la sortie des raffineries de sucre.
Je me permets d’ajouter mon grain de sel en référant à un article où j’ai abordé le même sujet sous un angle un peu différent.
https://urlz.fr/nMGZ
Je vois les anciens signes des compagnies de sucre en zone de gentrification, en Amerique comme symbole industriel des annees 50…. mais non .
J ai aime ce texte
Bonjour Louis et merci pour ce texte.
Les lobbies sont d’une puissance inouïe, on n’a qu’à penser au tabac ou aux armes, mais ceux-ci ne sont pas imbattables, on peu contrer leurs puissantes “machines” avec l’éducation, on sais quelle peut faire des miracles, malheureusement, certains la sous estime et d’autres préfères la sous utiliser.
Salutations