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Fleurons économiques à des entreprises étrangères ?

Depuis plusieurs années, le Canada et particulièrement le Québec ont perdu plusieurs de leurs fleurons économiques au profit de sociétés étrangères.

La perte de contrôle suscite des enjeux bien réels concernant les possibilités de fermeture, le maintien des emplois et les décisions stratégiques sur la croissance de la société visée. Tout compte fait, on peut considérer qu’il existe certains avantages aux investissements étrangers, mais des conditions commerciales inégales entre deux pays peuvent apporter des risques de pertes importantes.

Les exemples de pertes sont nombreux. Voici quelques-uns des plus spectaculaires.

La C series de Bombardier, développée au coût de plus de 6 milliards $, connait actuellement une belle carrière après avoir été rachetée par Airbus.[1] [2] Mais, la décision de Bombardier de se départir de cet actif était nécessaire pour ne pas hypothéquer son avenir et même sa survie. Cette décision fût en partie renforcée par des droits compensateurs de 300 % imposés par Washington aux appareils C Series. [3] Lorsque la Commission internationale du commerce des États-Unis (USITC) a tranché en faveur de Bombardier dans ce litige, il était déjà trop tard. Bombardier, en difficulté financière, avait déjà accumulé une lourde dette et a dû assumer des pertes importantes. [4]

Nortel, un équipementier ayant connu un succès international et qui était destiné à une croissance fulgurante dans le secteur des télécommunications en pleine essor de l’Internet a fait faillite de façon bizarre et spectaculaire en 2009. L’entreprise a dû céder la plupart de ses 6 000 brevets à des sociétés américaines pour 4,5 milliards de dollars canadiens.

On pourrait rajouter plusieurs autres exemples : Rona (maintenant Lowe’s) , cie de la Baie d’Hudson, Alcan (maintenant Rio Tinto Alcan). Dernièrement, Héroux-Devtec, Logistec, Uni Sélect, Produits forestiers Résolus, Opsens, H2O Innovation, Capcium, Hydromega qui ont fait l’objet de transactions impliquant plusieurs dizaines de milliards de dollars canadiens depuis seulement quelques mois. [5]

Le Canada et le Québec sont de toute évidence des terreaux fertiles au développement d’entreprises, mais nous avons du mal à en garder la propriété.

Pour quelles raisons nos entreprises se font acheter

Dans les faits, le changement d’un propriétaire apporte peu de différence aux opérations courantes d’une entreprise si ce n’est des conditions sous-jacentes à son achat. D’autre part, il existe aussi une certaine réciprocité puisque les entreprises québécoises achètent des entreprises à l’extérieur en plus grand nombre. [6] Par exemple, plusieurs de nos firmes de génie conseil ont fait des méga acquisitions à l’international au cours des dernières années : Lavalin (AtkinsRealis), Genivar (WSP) et le groupe Roche (Norda Stelo), et sont devenues de véritables multinationales.

Pour des raisons d’accessibilité à un marché, des entreprises voudront acquérir directement des entreprises d’un autre pays pour contourner des barrières commerciales, comme par exemple des droits compensateurs élevés, des exigences de contenu local, des réglementations excessives, des politiques d’attribution de contrats publiques (accès aux marchés publiques). Pour sa part, le Canada est de fait une porte d’entrée qui permet de faire des affaires partout dans le monde. Il s’agit du seul pays du G7 à avoir des ententes de libre-échange avec tous les autres pays du G7 et un accès préférentiel à près des deux tiers de l’économie mondiale. [7] Il peut donc être judicieux pour une société étrangère d’acheter une entreprise canadienne, et vice versa.

Ceci étant dit, la propriété étrangère n’est pas quelque chose de mauvais en soi et peut apporter des bénéfices substantiels à l’économie locale. L’acquéreur peut s’engager à maintenir des emplois en contribuant au développement de l’entreprise achetée, soit en injectant de capitaux nouveaux ou en suscitant le transfert de nouvelles technologies, en offrant de nouveaux produits ou en implantant de nouveaux procédés de production.[8] Les investisseurs étrangers, notamment les fonds d’investissements, peuvent y trouver leur compte par la profitabilité. Les entreprises d’un même secteur peuvent y tirer leur compte par l’acquisition d’un actif spécifique, par exemple des brevets ou des droits miniers, etc.

On pourrait déterminer comme principe, le suivant : une acquisition étrangère demeure acceptable lorsque les bénéfices obtenus par le pays acheteur (pays où se situe l’entreprise étrangère) n’ont pas pour effet de diminuer ceux d’un pays vendeur (pays où se situe le pays de l’entreprise achetée). [9]Selon ce principe, la relocalisation d’une entreprise ou sa fermeture après son achat occasionnerait des pertes d’emplois, ce qui est une situation à éviter. A contrario, une transition impliquant le maintien des emplois, le transfert technologique et l’investissement de nouveaux capitaux représente une formule gagnante et désirable.

L’idée n’est donc pas d’intervenir à tout prix pour freiner l’acquisition de nos entreprises mais d’agir avec parcimonie afin de profiter au maximum des retombées qui en découlent. Il faut procéder ainsi au cas par cas.

L’impact de la montée du protectionnisme

Les barrières commerciales visent à protéger les industries, mais les exposent en échange à des acquisitions étrangères s’il n’existe pas de loi limitant la propriété étrangère. Dans ce contexte, on peut s’interroger alors sur l’impact du protectionnisme américain sur le Canada depuis la première élection présidentielle de Donald Trump et, par la suite, celle de Joe Biden.

Le Buy American Act et l’Inflation Reduction Act (IRA) adoptés aux États-Unis conditionnent l’accès aux contrats publics américains ou à des sources de financement public afin de produire en sol américain. Or, ces mesures protectionnistes ont pour effet d’activer les démarches de relocalisation ou d’acquisitions d’entreprises afin de contourner ces lois.

La Chine par exemple, dans le but de contourner les droits de douane de ses véhicules électriques tente de relocaliser sa production dans d’autres pays. (cf. article Voitures électriques, a-t-on besoin de la Chine?) Il pourrait en être de même pour plusieurs entreprises qui désireraient s’installer au Canada. Pour cette raison, le Canada représente ainsi un endroit propice aux acquisitions d’entreprises en raison de son rôle comme plaque tournante permettant d’accès aux marchés internationaux.

Reste à savoir si le Canada imitera les États-Unis dans son élan protectionniste. La mise en place de nouvelles barrières commerciales au Canada permettrait peut-être de limiter l’investissement direct mais aussi de nous faire perdre ses avantages.[10]

Conclusion

Les fusions et les acquisitions d’entreprises par les investisseurs étrangers sont en fait un phénomène de mondialisation. On constate au niveau international une concentration de plus en plus élevée de nos industries. Or, les entreprises se fusionnent dans le but d’accéder à des marchés plus grands et accroître leur compétitivité.

Les délocalisations et les pertes d’emplois sont à éviter mais ne sont pas des situations fréquentes. Les investisseurs cherchent avant tout la profitabilité et l’accès aux marchés extérieurs.

Ils sont souvent enclins à réinjecter des fonds nouveaux dans les entreprises afin d’assurer la croissance des entreprises tout en maintenant des emplois.

Le cas de la C series de Bombardier est un cas malheureux mais s’explique en bonne partie par le protectionnisme américain, non pas par le fait qu’elle ait été achetée par Airbus.

Ne remettons donc pas en cause l’acquisition de nos entreprises par des investisseurs étrangers, mais plutôt la montée du protectionnisme américain.

Louis Bellemare


[1] Fin de l’aventure C séries pour Bombardier

[2] L’Airbus A220 l’ex-C Series, un avion populaire

[3] C Séries : Washington ajoute des droits antidumping de 80 % sur le dos de Bombardier

[4] C Séries : Victoire de Bombardier contre Boeing

[5] Analyse, sous la CAQ, des fleurons du Québec continuent de partie, Radio-Canada

[6]Le journal les Affaires, Les entreprises d’ici achètent plus à l’étranger qu’elles ne sont achetées

[7] Pourquoi les entreprises américaines de tous les secteurs affluent-elles au Canada ?, Investir Canada

[8] Vente de fleurons québécois, « on est très fiers », Radio-Canada

[9] Note : Je fais allusion ici au principe de Pareto qui à mon avis s’applique aussi pour définir des transactions qui apportent des bénéfices optimaux

[10] Le Québec face au protectionnisme américain, HEC Gestion

Published inÉconomie canadienneÉconomie québécoisefrançaisGénéral

3 Comments

  1. Jean-Claude Cloutier Jean-Claude Cloutier

    Bonne réflexion qui montre bien qu’il y a différents aspects à la question. J’ajouterais la dimension des activités centrales des entreprises (haute direction, finance, marketing, R-D). Le dommage est limité si on réussit à les garder au Québec.

  2. Patrice Patrice

    La vente/fermeture d’entreprise devient-elle à un certain point inévitable? Autant pour le bien des ses administrateurs, actionnaires, employé es ou pour l’entreprise elle-même. Quel est le nombre de ventes d’entreprise canadienne sur une période de cinq ans? Combien débutent dans cette même période? Aurions-nous les moyens de toutes les conserver ?

    Si Bombardier n’avait pas vendu, peut-on affirmer qu’ils auraient aussi bien fait qu’Airbus?

    Il existe beaucoup d’entreprises solides au Québec; https://www.lesaffaires.com/outils/classements/le-classement-2024-des-300-plus-grandes-entreprises-du-quebec-2/ . Doit-on vraiment s’inquiéter outre mesure du départ de certaines d’entre elles? La question se pose. Si elles sont vendues à perte, nous avons alors un dommage, autrement, certains capitaux nous reviennent et la roue tourne.

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