L’imposition des tarifs douaniers n’est pas à l’avantage de l’économie américaine
En 2018, lorsque le président américain Trump avait annoncé l’imposition des tarifs douaniers de 25 % pour l’importation d’acier et de 10 % pour l’aluminium, « l’Initiative Global Market », un organisme de recherche de l’Université de Chicago, avait demandé à un panel d’économistes américains (dont plusieurs de réputation internationale) si ces nouveaux tarifs allaient apporter un bénéfice à l’économie américaine. La réponse fût unanime. Sur les 93 économistes sondés, 65 étaient fortement en désaccord avec cette proposition, et 28 se disaient en désaccord. Aucun d’eux n’était en accord avec cette proposition selon laquelle l’augmentation des tarifs douaniers apportait un quelconque bénéfice à l’économie américaine. [1]
Plusieurs autres études empiriques confirment les prétentions de ces économistes. Une étude réalisée par des chercheurs d’Harvard, de l’Université de Chicago et du Fonds monétaire international indique que l’augmentation de tarifs douaniers de 10 % annoncée par Donald Trump en 2019 et imposée aux 300 milliards de dollars de produits importés de Chine était transférée aux importateurs américains et que ces hausses étaient assumées à même leurs marges de profit.[2] Ceci signifie qu’ultimement ce sont les consommateurs américains qui finissent ou finiront par assumer les hausses tarifaires, les marges de profit n’étant pas infiniment compressibles.
Par ailleurs, selon le Fonds monétaire international (FMI), les droits de douane ont pour effet d’exercer un effet de freinage global et de réduire la production, l’investissement et l’emploi dans l’ensemble de l’économie même si les partenaires commerciaux n’usent pas de rétorsion. L’une des raisons est que les tarifs ont pour effet d’accroître la demande de la monnaie nationale et sa valeur sur le marché des changes. En conséquence de l’augmentation de la devise, l’effet est de hausser le coût des biens exportés et de stimuler encore plus les importations malgré l’application des tarifs. Au final, le déficit commercial s’accroît et la croissance du PIB diminue, alors que les entreprises américaines deviennent moins compétitives sur les marchés internationaux. Selon le FMI, l’imposition des représailles de la part des partenaires commerciaux viendrait exacerber cette situation.
En bref, la communauté des économistes américains, les institutions de recherche et les organismes internationaux comme le FMI sont tous unanimes. L’imposition des tarifs douaniers n’est pas à l’avantage de l’économie américaine.
Qui peut gagner, qui peut perdre ?
L’impact avec le Canada et le Québec
Les décisions de Donald Trump n’auront pas moins pour effet de susciter des dommages commerciaux au Canada. La panique au Canada suscitée par l’annonce récente de Donald Trump d’imposer des tarifs de 25 % s’explique par la perception selon laquelle la différence de taille des économies américaine et canadienne est telle qu’elle ne peut être qu’à l’avantage des États-Unis. Mais ceci n’est pas entièrement vrai. L’ouverture de l’économie d’un pays vers les marchés extérieurs est un facteur encore plus déterminant pour mesurer l’impacts des tarifs. Or, l’économie américaine est beaucoup moins ouverte que les économies canadienne et québécoise, et obtiendrait pour cette raison peu de bénéfices de ces nouveaux tarifs.
Le tableau qui suit illustre le niveau d’ouverture des économies des États-Unis, du Canada et du Québec. Selon la Banque mondiale, les exportations et importations américaines de biens et services représentaient respectivement 11,6 % et 15,4 % du PIB en 2022. Ces mêmes ratios s’établissaient à 33,5 % et 33,9 % pour le Canada, et à 46,7 et 52,9 pour le Québec. Les exportations internationales du Québec s’établissaient à elles seules à 29 % de son PIB et 73 % de celles-ci étaient dirigées vers les États-Unis. [3]
Le Canada et surtout le Québec seraient donc particulièrement affectés par des tarifs douaniers de 25%. Mais, les États-Unis, dans un contexte d’échanges bilatéraux, en subirait à peine les impacts parce que les exportations du Canada et du Québec ne représentent respectivement que 1,7 % et ,25 % du PIB américain ($US). Autrement dit, ces tarifs ne nous feraient que du tort sans apporter de bénéfices pour les américains. Qui peut gagner ? Qui peut perdre ? En fait, il n’y aurait que des perdants.
Exportations et Importations en pourcentage du PIB, 2022
Exportations %PIB | Exportations (milliards $) | Importations %PIB | Importations (milliards $) | PIB (milliards $) | |
---|---|---|---|---|---|
États-Unis | 11,6 | 2 986 | 15,4 | 3 965 | 25 744 ($US) |
Canada | 33,5 | 941 | 33,9 | 952 | 2 809 ($CAN) |
Québec | 46,7 | 255 | 52,9 | 289 | 546 ($CAN) |
Note : les exportations et Importations du Québec tiennent compte des échanges commerciaux avec les autres provinces, Les exportations internationales sont de 29 % du PIB et 73 % des exportations internationales sont dirigées vers les États-Unis.
Sources:
Produit Intérieur Brut des Dépenses, Institut de la Statistique du Québec
Valeur des exportations internationales par pays, Québec et Canada,
L’impact multilatéral avec les autres pays nuira considérablement à l’économie américaine
Par contre, les États-Unis seront impactés avant tout par leurs échanges multilatéraux. Trump a fait part de son intention, durant la dernière campagne présidentielle, d’ajouter des tarifs de 60 % sur les importations chinoises et de 10% à 20 % pour les importations des autres pays. Selon lui, ces mesures, tout en permettant de créer des emplois, contribueront à réduire le déficit fédéral et à diminuer les prix. (4)
Mais, l’expérience passée des tarifs imposés comme il a été dit plus haut démontre qu’il en a été tout autrement. Le président Biden n’ayant pas modifié les tarifs douaniers imposés par l’administration précédente de Donald Trump, les études d’impact évaluent qu’ils sont équivalents à une taxe par foyer allant de 200 dollars US à 300 dollars US. Qui plus est, si Trump mettait à exécution sa promesse électorale, la transmission des tarifs douaniers aux consommateurs américains est estimée à 2 400 de dollars US en hausse de prix.
À cela, il faut aussi considérer l’effet miroir des rétorsions en réaction aux mesures américaines. Ceci aura pour effet d’isoler l’économie américaine du reste du monde et de l’affaiblir. Le Canada pour sa part pourra diversifier ses marchés et réaffecter ses exportations vers d’autres pays dont les pays européens ou asiatiques.
Dans le cas de ses échanges multilatéraux, l’économie américaine serait largement perdante, ce qui n’aura pour effet que de l’isoler.
Quelles perspectives pour les économies américaine, canadienne et québécoise ?
L’imposition des tarifs et les guerres commerciales ne régleront pas les problèmes économiques que nous avons connus depuis quelques années, comme l’inflation, la hausse du prix des aliments ou des loyers. En fait, ils ne feront qu’exacerber la situation.
De façon unanime, les spécialistes estiment que Donald Trump fait fausse route en imposant des tarifs douaniers de façon multilatérale.
Les droits de 25 % à l’importation des biens provenant du Canada et du Mexique annoncés dernièrement par Trump sont liés à la protection des frontières américaines contre le trafic de drogues. Ils ne pourraient être que temporaires jusqu’à ce que les frontières soient sécurisées. Ils seront en majorité nuisibles pour le Québec et le Canada et n’apporteront que très peu de bénéfices à l’économie américaine.
Mais l’enjeu se situe surtout au niveau des engagements électoraux de Donald Trump concernant les droits de 60%, 20% et 10 % qu’il entend imposer au reste du monde de façon multilatérale. Les dommages sur l’économie américaines et les risques de rétorsion des partenaires économiques pourraient être considérables. S’agissant d’un engagement électoral, il est fort probable que Trump y donne suite. Pour cette raison, les perspectives pour l’ensemble des économies du monde ne sont pas très bonnes.
Le Canada doit se trouver des partenaires afin de convaincre Trump de ne pas donner suite à ces engagements. Il doit intervenir auprès du gouvernement américain, des politiciens, sénateurs, représentants, lobbyistes, chercheurs universitaires et institutions de recherche aux États-Unis afin de faire valoir les dommages multilatéraux que les tarifs douaniers peuvent causer. Ils n’auront pour effet que de créer une spirale vers le protectionnisme mondial. Au final, ils seront nuisibles pour tout le monde.
Louis Bellemare
Économiste
[1] Will Americans Benefit from New Tariffs on Steel and Aluminum?, Chicago Booth Review
[2] Tariff Pass-Through at the Border at the Store: Evidence from US Trade Policy, American Economic Review: Insights
[3] Valeur des exportations internationales par pays, Québec et Canada, cumulatif en décembre 2022 et 2023
4 – How american consumers will bear the burden of Trump’s tariffs
Ça me rappelle des négociations patronales-syndicales avec une unité plutôt faible, l’employeur arrivait avec ses gros sabots, trouvait peu de résistance aux menaces et déstabilisait le groupe.
Mais lorsqu’on connait bien l’interlocuteur d’en face, et Jean Charest sur RC ce matin en dresse un portrait qui semble juste, on peut faire avancer les dossiers sans trop se préoccuper de menace et de propos hors contexte.
Le premier point est de ne jamais céder à la panique, et le seul à date qui a bien réagi, à mon avis, est le Chef du Bloc.
Bonne Journée
Je ne crois pas que ce soit du bluff comme dit Charest. Le problème vient plutôt du Mexique pour ce qui est de protéger les frontîères. Comme il a lui même indiqué ca ne pourrait être que temporaire. Le problème c’est surtout ses engaments électoraux vis-à-vis les relations multilatérales des US. En fait, ce sont les américains eux-mêmes qui ont voté pour ça. Je crois bien qu’il va le faire comme dans son premier mandat. Surtout que Biden n’a oas corrigé le tir.
Bravo Louis, excellent texte!
Jacques
Bonjour Louis
Les États-Unis ont le grand avantage de pouvoir être à peu près autarcique, ce qui fait qu’ils n’ont pas vraiment besoin d’échanger avec l’extérieur. Ils pourront très bien survivre à des tarifs douaniers de 25 % imposés au Canada. Les Américains ne verront pas une grande différence car le Canada leur vend peu d’articles de consommation.. Ils auront plus de difficultés à s’ajuster à l’autre promesse phare de Trump à savoir la déportation d’immigrants illégaux. Dans un cas comme dans l’autre, je doute qu’il mette ses menaces à exécution.
Bien d’accord, leurs politiques protectionnistes ne leur rapporte strictemnt rien et risque d’enclencher des guerres commerciales et possiblemwnt une récession.
Bonjour Louis,
Je suis d’accord avec toi que
Bonjour Richard, ton message n’a oas été complété